Il y a un jardin en nous, plus profond et plus fabuleux que toutes les richesses, un jardin auquel nous revenons tous, peu ou prou, quand le sol sous nos pieds se délite, un jardin toujours vert où nos rêves vont puiser leurs sucs les plus doux, c'est l'enfance.
Le pardon est l'unique remède aux malheurs des hommes et l'amour la seule fortune qu'on n'épuise jamais.
Place Joachim-du-Bellay
(La fontaine aux Innocents)
III
Je pense à toi Ulysse à ton coup de balai
Parmi les prétendants assis devant ta porte
Quand voulant traverser la place Du-Bellay
Encombrée de badauds j’enrage et je m’emporte
Contre ce mur bêlant et je prends au collet
Le plus proche quidam mais une voix m’exhorte
Allons mon ami Guy rappelle-toi ces lais
Du poète angevin que la langue transporte
À célébrer Faustine à Rome en son palais
Baisant sont front brisant l’ennui qu’un siècle apporte
Loin de la Loire et du petit Liré Ô lait
D’enfance qui nourrit les regrets d’amours mortes
Jusqu’en la tombe et cette place Du-Bellay
Qui nous rassemble ici et me prête main-forte
(Paris à ma porte)
on n'en dit jamais autant sur soi-même qu'en parlant des autres.
La poésie est le journal intime d'un animal marin qui est sur terre et qui veut voler
Ce que je voulais toujours avec toi, c’est partir
et que la terre recommence
sous un autre jour, avec une herbe encore nubile,
un soleil qui n’appuie pas trop
sur le coeur et puis du bleu tout autour comme
un chagrin qui se serait lavé
les yeux dans un reste d’enfance, et que le temps
s’arrête comme quand tout
allait de soi, tout, quand partir n’était encore
qu’une autre façon de rester
comme l’eau dans la rivière, les mots dans le poème
et moi, toujours en partance
entre l’encre et les étoiles, à rebrousser sans fin
le chemin de tes larmes.
Marthe consent à être nue devant lui et prise, surprise, dessinée
Nue sur le lit juste après l’amour, voluptueuse encore, indolente, une main caressant le sein où le plaisir longuement s’étire,
Nue à demi enfilant ses bas et tournant la rouge jarretière, la jambe prête aux pires écarts,
Nue aux bas noirs sous la lampe et plus que nue, la tête prise dans l’écume des chemises, et livrée aux rougeurs,
Nue à la baignade, nymphe penchée sur le miroir d’eau,
Nue au tub se lavant, accroupie, à genoux, cassée,
Nue dans son bain longue sous l’eau verte, rêveuse,
Nue debout à sa toilette, en escarpins à talons hauts, ou courbée, s’essuyant une jambe, se coupant les ongles des pieds, nue et cambrée, brûlant tout l’or du jour dans ses courbes,
Sanguine alanguie nue et roulant sur ses reins comme des cigarettes les sulfureuses rêveries du poète de « Parallèlement »,
Chloé nue pour son Daphnis dans les pages de Longus,
Nue rose ou bleue ou verte ou jaune, et la lumière n’en revient pas,
Nue au miroir, au lavabo, à contre-jour,
Nue au gant de crin, au couvre-pied, à la toque, au basset,
Nue au crayon, au fusain, à la gouache, nue à l’eau et à l’huile,
Nue en bronze
Nue à toute heure et, jusqu’au dernier jour,
Nue, toujours jeune et gracile comme si le temps s’était arrêté pour elle, pour lui, le jour où, dans sa chambre pauvre, il la vit pour la première fois sortir du paravent
Nue par bonheur, par Bonnard nue.
Citadelle imprenable, la poésie, ou ville ouverte ?
Les deux et aucune à la fois.
Il suffit de pousser la porte des mots qui n'est jamais verrouillée et d'entrer dans le poème qui n'attendait que ça pour se mettre à chanter, à danser, à rire à mots déployés....
Qu'est-ce qui est plus lourd que le plomb ? La honte, monsieur.
Ce qui manque sans cesse aux mortels,
ce trou dans l'air entre les choses
où le regard s'échappe, s'assombrit,
ou s'attriste, voilà qu'il prend soudain
la mesure de sa soif en entendant
prononcer à voix basse le mot jardin,
voici que tout s'éclaire désormais
comme si la fontaine des larmes
si longtemps muette avait retrouvé
sa source et coulait ronde
et paisible sur nos joues.
("Du jardin", extrait)