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Citation de Charybde2


Je regarde une photo de Chris Killip : c’est, décentrée, une petite fille blonde, longues mèches en bataille, visage de lionceau, lèvres et paupières étrangement renflées. Elle porte un blouson en lycra dont la fermeture éclair est remontée sous son cou, une jupe sombre aux genoux, des chaussettes blanches, des vieilles sandales, trop légères. Autour d’elle, a waste land, à la fois dune et décharge, couvercles de canettes, amas de cendres blanches, télé éventrée, débris de bois mêlés à l’herbe sèche, balancelle rouillée. À l’arrière-plan, découpé par une corde tendue entre deux piquets et comme échoué, un tas de charbon, plus loin la mer, grise, étale, dont l’écume a la blancheur des cendres. La petite incline la tête, grave, concentrée, presque apeurée. Son bras gauche est dressé, paume tendue comme pour refuser, repousser, le droit, ouvert à l’horizontale, dessine très exactement ce qu’en danse classique on nomme la deuxième position. Autour d’elle, appuyé pour moitié sur ses cuisses, pour moitié sur le sol, un cerceau. Elle a un pied dehors, l’autre dedans. Peut-être (sans doute) l’a-t-elle fait tourner autour de ses hanches, pour rien, pour jouer, pour la mer vide et les choses hors d’usage. Mais ses jambes sont arquées, tout son corps tendu, son visage si grave : on dirait qu’elle se bat avec le cercle de bois, comme si elle cherchait à y entrer tout entière ou à en sortir, on ne sait pas.
Cette petite fille au cerceau, tu as beau dire, c’est encore toi.
Tu es encore cette enfant seule sur la terre vaine, flancs de l’Etna ceinturés par ta mère ou Irlande minière,
et qui, grave, absente, gracieuse, joue,
joue pour le ciel vide et la mer sans vagues, invente un jeu que nul n’a codé, un rite sans formule,
se tient à la lisière, au point exact où le cycle peut être brisé ou perpétué, hésite encore
(un pied dehors, un pied dedans, un geste qui refuse, l’autre qui accepte),
et puis, soudain, danse à l’envers.
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