Gwenaëlle Stubbe Ma tante SidonieGwenaëlle Stubbe - Ma tante Sidonie - éditions POL : Où il est question de canards qui se suivent à la queue leu leu, de bécasses, de tante Sidonie, de pommes de terre et d'un soldat, lors d'une lecture de "Ma tante Sidonie" par Gwenaëlle Stubbe, à la foire du livre de Bruxelles, le 18 février 2011
L'aube
extrait 1
une aura de salive de montre
la même inclinaison
même lait de peaux mortes
même rampe à son bras
même sève tachée
un tissage qu'on ajuste
dans des lits froids
dans des lits jaunes
quand on va à la guerre, les bombes tombent (on est bien d’accord), on a l’occasion quand même d’aller voir si dans le bois d’à-côté, y a pas telle ou telle espèce d’insecte, rare. C’est comme ça que, vite, j’en ai attrapé 1 en quittant mon régiment entre deux opérations fatidiques Utah-beach et Pina-beach.
L'aube
extrait 3
dans le cercle de ses ongles
on retire l'homme de cire
au fil de ma main
qu'attendre
on accumule ses enfances
sur des pouces alignés
de quelques roues au bord du lac
on lave la femme
de quelques rainures dans les yeux
on passe et on repasse son corps
en filigrane
sur la route on recueille sa peinture blanche
Un squelette, son apparition, ici est un événement important.
Surtout s’il se présente les bras écartés.
Un bras sur sa hanche (comme un piquet enfoncé dans la Tamise), ma tante se pose sur la scène qu’elle éclaire tranquillement debout.
Elle est tout à son aise dans la scène.
Le camp ennemi se démène dans la lueur de la torche.
Très tranquille ma tante tire.
POINT DE VUE SUR COUPLE
Plus loin.
Un homme sur son veston, une femme sur sa cravate. Ont
des échanges de doigts. L’homme rapproche son doigt, la
femme rapproche son doigt. Les deux doigts frisent en
boucle.
Voilà. Leurs deux doigts noués. L’homme sur son veston, la
femme sur sa cravate et de temps en temps, la femme pour
alléger son menton, repose toutes ses dents sur leurs doigts
roulés. Et laisse là ses dents en suspens.
Ainsi elle allège sa bouche, et essaie sa bouche dans toutes
ses postures sans dents.
Et l’homme voit dans sa femme une toute nouveauté, une
toute nouvelle raison de l’aimer, et de s’affubler pour
l’occasion d’un nouveau veston.
LE TYPE COINCÉ
Coincé. Il est coincé – avec – pas la moindre dilatation de
peau.
Tout l’angle de la tête serré. Sans une esquisse de promenade
au visage. En guise de relâchement, il a juste droit à de ri-di-
cu-les particules de chair collées et en instance de
décrochement.
Aucun mouvement de plaques – de joues ou de mâchoires.
Non, tout est logé chez lui dans une poche de peau en piste
à ski.
Avec de temps en temps des hommes dessus en gouttes
d’huile.
Et ça ne bouge pas. Ça luit juste.
L'aube
extrait 4
mes bras vibrent sur la côte du bois
on glisse des rainures de miel
ses veines de cire
improvisent des partitions sur l'écharde
on roule des copeaux sur la langue
j'avais détaché ma tête
on s'amusait à la voir
posée sur les calices les candélabres
les cartes s'agençaient dans ma main
des lustres on étirait les marionnettes
un théâtre bâti sur la tangente du bras
TOUJOURS CES ÉVIDENCES
QUE L’HOMME SOI-DISANT N’A QU’UNE TÊETE !
C’est un homme en plusieurs parties.
Une partie de lui souvent file avec sa seconde tête.
Si vous voulez parler à cette tête seconde
― Vous serez obligé Monsieur de vous adresser à lui en tirant
très fort sur votre joue droite ! Son bras droit de temps en
temps accompagne sa seconde tête seconde où viennent (d’un peu
partout) se percher
D’autres bras.
Ce qui le clôt en capsule.
Mais sa tête résiste par accélération de peaux pour maintenir
sa position.
Cet homme cultive, actuellement, par son air soigné l’allure
d’un banc public.
L'aube
extrait 2
être un homme bien condensé bien entassé
et toujours une femme
en robe rouge qui contourne le nœud
des arbres
quelques mèches courbes contre sa joue
il n'est pas permis de se coller mille cadavres
d'oiseaux dans sa chevelure
de se soulever comme un vautour
un sifflement de bec un lambeau dans sa gorge
et bercer ma tête