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Citation de enkidu_


Une fois de plus, notre investigation nous ramène à la dualité de l'homme et de la nature (phusis), arrière-fond métaphysique de la situation nihiliste. On ne saurait négliger la différence cardinale des dualismes gnostique et existentialiste : l'homme gnostique est jeté dans une nature qui lui est contraire, une nature anti-divine et donc anti-humaine ; l'homme moderne est jeté dans une nature indifférente. Dans ce dernier cas seulement il y a vide absolu, insondable abîme. Dans la conception gnostique, l'hostile, le démoniaque, est encore anthropomorphique ; il est connu même dans son étrangeté, et le contraste lui-même donne une orientation à l'existence : une orientation négative, assurément, mais qui a derrière elle la sanction de la transcendance négative, dont la positivité du monde est le pendant qualitatif. A la nature, la science moderne n'accorde même pas cette qualité d'adversaire ; et de pareille nature, on ne peut tirer la moindre orientation.

C'est là ce qui rend le nihilisme moderne infiniment plus radical et plus désespéré que ne fut jamais le nihilisme gnostique, malgré la terreur panique qu'il ressentait devant le monde, malgré son insolent mépris des lois du monde. Que tout soit égal à la nature, voilà le véritable abîme. Que l'homme soit seul en souci, dans sa finitude qui ne donne sur rien d'autre que sur la mort, tout seul avec sa contingence et le néant objectif de ses créations subjectives de sens, c'est une situation véritablement sans précédent.
(...)
La rupture entre l'homme et la réalité totale est au fond du nihilisme. L'illogisme de la rupture, c'est-à-dire, d'un dualisme sans métaphysique, n'en rend pas le fait moins réel, ni l'autre semblant de solution plus acceptable : il se peut que l'homme souhaite renoncer à ce regard braqué sur le moi indépendant, sur le moi isolé, ce regard à quoi le nihilisme le condamne, et qu'il veuille faire place à un naturalisme moniste qui abolirait, en même temps que la réalité, l'idée d'homme comme homme. Entre cette Scylla et sa jumelle Charybde, l'esprit moderne hésite. Savoir si une troisième voie s'offre à lui, qui permettrait d'éviter la déchirure dualiste et de garder assez d'intuition dualiste pour maintenir l'humanité de l'homme, c'est la tâche de la philosophie. (pp. 440-442)
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