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Citation de Charybde2


Dans mon rêve prémonitoire, le village restait pourtant paisible et muet, depuis quelques discrètes minutes échappées du fracas diurne. Un peu d’ombre et de vent, des fleurs jetées au hasard des parpaings lézardés, une cheminée poisseuse, couleur prétentions ravalées, un doberman rongé de pus, la truffe desséchée, prisonnier d’une chaîne rouillée nonobstant cliquetante, un poulailler caquetant, deux oies sur le déclin, trois lapins sur la paille, les restes vérolés d’un fourgon de police « de récup' », une rangée de vêtements étendus, comme pendus par les pieds, les bras flasques, tout près d’un arbuste à l’abandon, totem tordu. Et mon frère, la main sur le bastingage, trop petit, trop fin. Partout, sur les framboisiers rachitiques, les mobylettes entassées, les palettes empilées, sous la tôle, dans l’amiante et le plâtre, au bord du puits, sur la margelle noircie, dans le charbon des casiers côté cour, au fond des buanderies « bouffées à rats », partout, embusqué, insidieux, narquois, puissant d’invisible ubiquité, partout le silence poussiéreux-bouffi d’orage, le sourire de mon frère. Mes coudes sur la nappe, la gifle qui s’envole et s’échoue sur ma joue ronde, l’écho mouchard à tous les étages, le plafond qui pisse encore la pluie du matin, la radio sifflotante, le poing rageur à travers la petite lucarne de la porte d’entrée, la fratrie qui débarque, la poignée défoncée, le chambranle qui s’en branle et s’éparpille, les éclats de verre sur le visage d’une mère brisée,

invaginations intestinales aiguës

la table renversée, les quatre fers en l’air, beau-père Fauchelevent coincé, broyé, grondant, Valjean démuni, Javert satisfait, le rictus parricide à fleur de madeleines éventées, la bouche éventrée, le pilonnage en bonne et due forme,

occlusions dyspepsies tumeurs choléras

l’empoignade à peine déséquilibrée, le vieux buffet brinquebalant tout piqué d’indescriptibles porcelaines, l’oscillation des yeux stupéfaits, l’impuissance au creux des mains refusées, le froissement-claquement-craquement d’une chair osseuse et pointue contre une chair molle et malléable (« Souviens-toi du champ, fils de pute ! Souviens-t’en bien ! »), le flot des gargouillements internes rompant les digues, le sang noir puis rouge puis noir charbon côté cour dans les casiers couverts,

polypes cirrhoses rectorragies pancréatites

les corps indifférenciés, la violence qui se fond, globe de contorsions frissonnantes, météore de fureurs indiscernables, bolide fulgurant-statique au milieu des fourchettes étalées, des couteaux arrondis, des pots de confiture crevés, la transmutation des élans déjetés, larmes contre rires, frénésie tout contre torpeur, la saveur des sueurs mélangées, les semelles trouées d’ivraie, d’herbe folle, de faux-semblants salis,

ulcères lithiases diverticules nécroses

la bruine mortuaire des biseaux translucides, les doigts qui s’effritent sur les pommettes bleuissantes, la main soumise agrippant son tranchant salut, son laissez-vivre-et-passer, son fétiche aiguisé puis le râle horrifié le fils renversé sur la table renversée les sirènes la pluie qui pisse la bourrasque fauve les relents marécageux la tourbe et mon cri et mon cri et mon cri de chair à vif mon cri d’amour giflé : « Tu l’as volé tu l’as volé tu l’as vidé répare-le t’as bu son sourire t’as vidé son sourire tueur de joie buveur de joie remplis-le remplis-le ou je t’égorge ! »
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