Helena Merriman

D'après une vieille blague est-allemande : pourquoi les agents de la Stasi font ils de si bons chauffeurs de taxi ? Parce que, quand vous montez dans leur voiture, ils savent déjà comment vous vous appelez et où vous habitez.

L'alternative était simple : devenir collaborateur ou dissident. Refuser signifiait risquer la prison, mettre en danger sa carrière, sa famille. Accepter signifiait être désormais l'un d'eux.

Et c'est pour ce moment qu'il effectue tout cela, sachant que ce qu'il fait à cette seconde déterminera s'il vivra ou mourra- Joachim qui a été chassé de sa maison et a perdu son père; Joachim qui s'est toujours senti piégé à Berlin- Est; Joachim qui, ne pouvant s'empêcher d'aider d'autres gens å s'enfuir, a passé des mois sous terre. Maintenant, à six cents mètres d'altitude, il éprouve sa liberté plus intensément qu'à n'importe quel autre instant de sa vie, une sensation pure et extrême de maîtrise lorsqu'il lève la tête, saisit les lanières sur ses épaules et tire d'un coup sec.

Ce soir-là, son travail terminé, Joachim marche jusqu`à un magasin de l'armée américaine. Il cherche une radio ou un téléphone, un appareil qui leur permettra de communiquer quand ils sont dans le boyau. Sur un rayon, à côté de talkies-walkies et de fragments d'uniformes désuet, il aperçoit deux téléphones de l'armée américaine datant de la Deuxième Guerre mondiale. Vert foncé, avec un combiné noir. Ils semblent parfait. Il les achète et les apporte à la cave, où il insère des piles et installe un téléphone dans la paroi du tunnel, le recouvrant d'un chiffon pour éviter que la boue ne s'y colle. L'autre, il le fixe à un mur dans la cave, les deux appareils étant reliés par un câble noir qu'il suspend à l'entrée du tunnel avec un crochet. Puis, il rampe jusqu'à l'avant de la galerie, essaie le téléphone et... dring ! dring ! Il entend sonner dans la cave.

«Oui, j'irai. » Et bien sûr qu'il ira; il ira parce qu'il y est déjà allé une fois, il ira parce que la série de décisions qu'il a prises I'a amené jusqu'ici et que c'est simplement l'étape suivante, il ira parce qu'il a appris que l'existence est une succession de problèmes - et qu'il suffit de les résoudre.

Les murs sont à la mode; dans plus de soixante-dix pays (un tiers du monde), il existe une forme de barrière ou de clôture. [...] Beaucoup s’inspirent du mur par excellence : celui construit à Berlin pendant l’été 1961.

Harry Deterling, un cheminot, avait pris les commandes d'un train à vapeur et, avec sa femme et leurs quatre enfants, ainsi que vingt-cinq autres personnes, avait roulé à toute vitesse jusque dans Berlin-Ouest. 'Le dernier train vers la liberté', l'avait-il appelé, et il avait raison: les soldats fermèrent la ligne ferroviaire le lendemain. D'autres passèrent par les égouts ou franchirent la rivière munis d'un équipement de plongée. Au terme de l'année 1961, plus de huit mille habitants de l'Est, s'étaient échappés (dont soixante-dix-sept garde-frontière), mais les risques augmentaient.

Ils ont trouvé des échantillons d'écriture des gens, prélevé sur des lettres et des affiches, ainsi que des rapports graphologiques analysant leur style, puis, découverte la plus étrange, des centaines de bocaux, tous numérotés, renfermant des bouts de tissus déchirés. Ces morceaux de tissus avaient été placés, sous les aisselles ou entre les cuisses des suspects pendant les interminables interrogatoires, où ils suaient beaucoup, puis mis dans des bocaux hermétiques, tous numérotés ; si besoin était de retrouver un suspect, le tissu imprégné d'odeur était présenté à un chien renifleur.

Au bout d'un mois exactement, les Berlinois de l'Ouest commencèrent à manquer de vivres. Ce qui les sauva fut l'une des opérations les plus ambitieuses de l'histoire: le pont aérien de Berlin. Pendant une année, des pilotes britanniques et américains transportèrent de la nourriture, des vêtements, des médicaments et des cigarettes jusqu'à Berlin-Ouest. Dans la période la plus intense, un avion atterrissait à l'aéroport Tempelhof toutes les soixante-deux secondes.

Puis, il y eut des défections plus embarrassantes: des soldats soviétiques, des fonctionnaires de l'État et. en 1961, humiliation particulièrement médiatisée, Marlene Schmidt, une belle ingénieure blonde qui avait fui l'Est (décrite dans un journal ouest-allemand comme ayant un 'cerveau d'ingénieure sur un corps à la Botticelli') devint Miss Univers.