Henri Beaulieu

Pourquoi le boulevard du Temple a-t-il été surnommé le boulevard du Crime ?
En raison de l'attentat de Fieschi, disent les uns ; parce que les théâtres rassemblés en ce coin de Paris ne jouaient que des drames très sombres prétendent les autres.
Ceux-ci, seuls, selon nous, ont raison.
Un entrefilet de l'Almanach des spectacles de 1823, nous prouve que ce surnom germait en certains esprits douze ans avant l'attentat du 28 juillet 1835.
"Une âme sensible voulait qu'on appelât le boulevard du Temple, boulevard du Crime.
Hélas ! Ce nom ne serait que trop mérité.
On a fait le recensement de tous les crimes qui s'y sont commis depuis vingt ans. En voici le résultat :
"Tautin a été poignardé 16302 fois, Marty a subi 11000 empoisonnements avec variantes, Fresnoy a été immolé de différentes façons 27000 fois, Mlle Adèle Dupuis a été 75000 fois innocente, séduite, enlevée ou noyée, 6400 accusations capitales ont éprouvé la vertu de Mlle Levesque, et Mlle Olivier, à peine entrée dans la carrière, a déjà bu 16000 fois dans la coupe du crime et de la vengeance.
Voilà, sauf erreur, 132902 crimes à partager entre cinq individus qui cependant jouissent au fond d'une santé excellente et de l'estime générale....

Afin d'interpréter cette pantomime sautante, si en faveur chez leur rivale, Bertrand et Fabien engagèrent des acteurs spéciaux. Parmi ces derniers se trouvait un tout jeune homme. Il sortait des Variétés-Amusantes et débutait sous le nom de Prosper, dans "la naissance d'Arlequin" ou "Arlequin dans un oeuf".
Ce jeune Prosper n'était autre que Frédérick Lemaître qui, aux plus beaux jours de sa gloire, disait en parlant des Funambules :
"C'est là qu'après m'être appliqué le matin dans la classe de Lafon à comprendre et à interpréter les grands maîtres classiques, je venais étudier le soir cette science si difficile qui consiste à faire coïncider le geste avec la parole.
Si l'on m'a reconnu, pendant le cours de ma longue carrière, quelques qualités mimiques dans certains de mes rôles, c'est par ce double travail qu'elles furent acquises". (Frédérick Lemaître - "Souvenirs")