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Citation de HenryWar


Déchirées en mille morceaux, les pages imprimées de l’Enfer et de Hamlet gisaient à terre, piétinées, et les ouvertures vides raillaient Pierre de leurs vains titres. Dante l’avait rendu furieux, mais Hamlet insinuait qu’il n’y avait personne à frapper. Dante lui avait appris qu’il possédait une amère raison de combattre, mais Hamlet lui inspirait la crainte de faillir dans la lutte. Il se reprit à maudire son destin, car il commençait à comprendre qu’après tout il n’avait fait que finasser avec lui-même, tergiverser et perdre en méditation sentimentales des instants qu’il eût dû consacrer à l’action immédiate.
Quarante-huit heures et plus s’étaient écoulées. Isabel était-elle reconnue à la face du monde ? Avait-elle paru en public à son bras ? Qui la connaissait, hormis Pierre ? Comme un vil poltron, il avait erré dans les bois pendant le jour, et, comme un vil poltron, il s’était glissé chez elle pendant la nuit ! Comme un voleur, il s’était mis à bégayer et à pâlir devant sa mère ! Lui qui avait épousé la cause de la Justice Sacrée, il avait permis à une femme de se dresser impérieusement devant lui ! Ah ! il est aisé pour l’homme de penser en héros, mais il est difficile pour l’homme d’agir en héros. Toutes les audaces imaginables pénètrent dans son âme, mais peu en sortent hardiment.
Voulait-il ou ne voulait pas de façon vitale accomplir ce qu’il avait résolu ? L’étoffe considérable qu’il fallait pour cela, la possédait-il ou ne la possédait-il pas ? Pourquoi différer ? Pourquoi remettre ? Son parti était pris, pourquoi ne pas agir ? Que lui restait-il à apprendre ? Relativement à la reconnaissance publique d’Isabel, que lui était-il resté d’essentiel à apprendre depuis qu’il avait jeté un regard sur sa première lettre ? Des doutes sur son identité étaient-ils venus l’arrêter ? Point du tout. Sur la muraille épaisse et ténébreuse du mystère d’Isabel éclatait le fait brûlant, comme tracé par quelque doigt phosphorescent, qu’Isabel était sa sœur. Eh bien ! alors, que signifiait cette entière dérobade devant les actes ? Se laissait-il ébranler par la pensée que, dès qu’il aurait parlé à sa mère d’Isabel et de sa résolution de la déclarer sienne hardiment et tendrement, la fière Mme Glendinning, repoussant cette atteinte à la mémoire de son mari, repousserait également Pierre et Isabel, et les dénoncerait l’un et l’autre à sa haine comme des complices dénaturés, acharnés à souiller le nom du plus pur des époux et des pères ? Nullement. Cette pensée ne le hantait point. N’avait-il pas arrêté déjà que sa mère ne saurait rien de la naissance d’Isabel ? Mais alors, comment pourrait-il reconnaître Isabel à la face du monde, si sa mère ne devait rien savoir de cette reconnaissance ? Misérable équivoqueur, pitoyable barguigneur à courte vue, quel grotesque jeu de dupe n’as-tu pas joué avec toi-même ! Imbécile et lâche ! Lâche et imbécile ! Déchire ta poitrine pour y lire l’histoire confondante de ton aveugle sottise ! Tes deux magnifiques résolutions – la reconnaissance publique d’Isabel et la dissimulation de son existence à ta propre mère – sont inconciliables. Et de même, ta décision magnanime de garder de tout reproche l’honorable mémoire de ton père et ton intention de revendiquer ouvertement le lien de fraternité qui t’attache à Isabel sont également inconciliables. Qu’un seul individu ait pu prendre ces quatre déterminations sans s’apercevoir qu’elles s’excluaient l’une l’autre, c’est là une folie indicible, Pierre, qui imprime au fer rouge sur ton front la marque de ton incompréhensible présomption !
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