Hervé Michel

Passe-partout fit de drôles de rêves, cette nuit là.
Il rêva d'animaux fantasmagoriques, de femmes lascivement offertes entre les pattes de bêtes mi-hommes, mi-félins.
Il flottait dans une sorte d'éther, son corps n'avait plus de poids, il volait comme un oiseau.
Il s'approcha doucement d'une beauté totalement dénudée qui lui souriait.
Elle chevauchait un tigre. La scène avait quelque chose de terriblement sensuel. Il s'approcha encore et posa ses deux mains sur les seins fermes de la jeune femme. Il fut surpris de la froideur de sa peau. Elle était glacée. Il avança ses lèvres vers celles, pulpeuses, qui l'appelaient, ferma les yeux, mais une terrible puanteur le fit reculer.
Lorsqu'il rouvrit les paupières, il fut saisi d'une terreur irrépressible. Le beau visage se décomposait peu à peu, il se liquéfiait et tombait en pourriture.
Il essaya de hurler, mais aucun son ne sortit de sa gorge.

La planète n’a pas besoin de gens qui réussissent. La planète a désespérément besoin de plus de faiseurs de paix, de guérisseurs, de conteurs d’histoires et passionnées de toutes sortes.
Dalaï Lama

"Le mois de février 1808 fut particulièrement froid. Une neige épaisse avait recouvert les routes et les chemins du Vaucluse. Ce manteau d'un blanc immaculé cachait l'état misérable des chaussées que les maires des communes avaient, depuis longtemps, renoncé à entretenir. Il faut dire que les édiles avaient bien d'autres chats à fouetter à cause des querelles qui opposaient leurs administrés. Certains encensaient l'Empereur, d'autres criaient "Vive la République!" d'autres encore réclamaient à cor, à cri et à coups de poing le retour de la royauté."

Il sentit une pression contre sa jambe et crut devenir fou de terreur en apercevant la femme qui s'accrochait à sa cheville, d'une main, serrant contre sa poitrine, de son autre main, un tout jeune enfant. Elle lui jeta un regard implorant. Soudain, une masse grise, rayée de noir, presque aussi longue qu'un autobus, déboula à toute allure, violente, bestiale. Richard eut à peine le temps d'entr'apercevoir deux petits yeux noirs, totalement dénués d'expression, avant qu'une mâchoire démesurée ne s'ouvre et ne se referme en une fraction de seconde.
La mère et son enfant furent littéralement gobés par le requin qui s'éloigna ensuite vers d'autres proies, en battant l'eau de sa nageoire caudale. La bête paraissait surexcitée par l'odeur de la peur qui flottait, autour d'elle. Richard sentait toujours l'étreinte de la main qui enserrait sa cheville. Il hurla en constatant que l'avant-bras de la femme pendait encore dans le prolongement de sa jambe.

Sur une dizaine de pages s'étalait une enquête sur le Scorpion, l'un des quatre sous-marins mystérieusement disparus en 1968, une année où les théories les plus folles avaient circulé. Finalement, le Scorpion avait été retrouvé dans le Pacifique par près de trois-mille-quatre-cents mètres de fond.
Sous le titre, un sous-titre en caractère Arial Black indiquait « Un article de Marc Peterson, enquêteur pour l'US Submarine Veterans ». Les photos étaient signées Alwin Stark, également membre de l'USSV. Créé au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, pour perpétuer la mémoire des sous-mariniers morts en service, l'USSV s'était doté, récemment, d'un service d'enquêtes, compétent pour déterminer les causes des naufrages de submersibles et identifier les unités inconnues. Marc et Alwin, anciens plongeurs de l'US Navy avaient été les premiers recrutés. Depuis, ils faisaient équipe ensemble.

Richard se sentait totalement désemparé. Ces hallucinations pouvaient être une nouvelle étape dans la maladie. Jusque-là, il avait mené une vie tout à fait normale, probablement grâce au traitement américain du docteur Morici. Hélas, il savait qu'un jour où l'autre, il pourrait ne plus être réceptif aux effets de la molécule qui valait plus cher que l'or.
Son cerveau était bel et bien en train de se liquéfier, les médicaments n'agissaient plus, depuis l'Afrique. Mais qu'avait donc bien pu lui faire ingurgiter le guide, dans la jungle ? À moins que ça ne soit le venin du scorpion...

Lorsque Richard entra dans la maison, une nouvelle vague de découragement vint le balayer. Comme lors de la perquisition du chalet de La Plagne, les policiers avaient tout mis sens dessus dessous. Le sol était jonché de papiers et d'objets qui se trouvaient, à l'origine, sur les meubles et les étagères. La cuisine était un véritable chantier, la porte de la gazinière, celles du vaisselier, de la machine à laver étaient restées grandes ouvertes. Une équipe de cambrioleurs aurait sans doute fait moins de dégâts.

Le lieutenant Lefranc avait l'impression de jouer un remake du film Un jour sans fin, avec Bill Murray. Il se retrouvait systématiquement assis à ce bureau et il lui semblait que la pile de dossiers posée dessus revenait sans cesse à la même hauteur.
Une fois de plus, Gaby était à la bourre ; oui, c'était décidément un jour sans fin. Pour le conforter dans cette idée, le capitaine Cosler entra dans le bureau, comme chaque matin.

- Joël ? Qu'est-ce que tu fais là ? demanda Lucie.
- Je venais voir un de mes gars qui s'est blessé hier, j'en profite pour prendre des nouvelles de notre rescapé. Comment te sens-tu, Richard ?
Richard fit la grimace.
- À part l'abruti qui joue du tambour dans ma tête, ça peut aller. J'aimerais porter plainte pour tapage cérébral, c'est possible ?
Le gendarme esquissa un sourire.

Si je peux parler, je suis sauvé.