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Citation de Woland


[...] ... Mais à l'aspect de Minoret-Levrault, un artiste aurait quitté le site pour croquer ce bourgeois, tant il était original à force d'être commun. Réunissez toutes les conditions de la brute, vous obtenez Caliban qui, certes, est une grande chose. Là où la Forme domine, le Sentiment disparaît. Le maître de poste, preuve vivante de cet axiome, présentait l'une de ces physionomies où le penseur aperçoit difficile trace d'âme sous la violente carnation que produite un brutal développement de la chair. Sa casquette, en drap bleu, à petite visière et à côtes de melon, moulait une tête dont les fortes dimensions prouvaient que la science de Gall n'a pas encore abordé le chapitre des exceptions. Les cheveux gris et comme lustrés qui débordaient la casquette vous eussent démontré que la chevelure blanchit par autre chose que par les fatigues d'esprit ou par les chagrins. De chaque côté de la tête, on voyait de larges oreilles presque cicatrisées sur les bords par les érosions d'un sang trop abondant qui semblait prêt à jaillir au moindre effort. Le teint offrait des tons violacés sous une couche brune, due à l'habitude d'affronter le soleil. Les yeux gris, agités, enfoncés, cachés sous deux buissons noirs, ressemblaient à ceux des Kalmouks venus en 1815 ; s'ils brillaient par moments, ce ne pouvait être que sous l'effort d'une pensée cupide. Le nez, déprimé depuis sa racine, se relevait brusquement en pied de marmite. Des lèvres épaisses en harmonie avec un double menton presque repoussant, dont la barbe, faite à peine deux fois par semaine, maintenait un méchant foulard à l'état de corde usée ; un cou plissé par la graisse, quoique très-court ; de fortes joues complétaient les caractères de la puissance stupide que les sculpteurs impriment à leurs cariatides. Minoret-Levrault ressemblait à ces statues, à cette différence près qu'elles supportent un édifice, et qu'il avait assez à faire de se soutenir lui-même. Vous rencontrerez beaucoup de ces Atlas sans monde. Le buste de cet homme était un bloc ; vous eussiez dit d'un taureau relevé sur ses deux jambes de derrière. Les bras vigoureux se terminaient par des mains épaisses et dures, larges et fortes, qui pouvaient et savaient manier le fouet, les guides, la fourche, et auxquelles aucun postillon ne se jouait. L'énorme ventre de ce géant était supporté par des cuisses grosses comme le corps d'un adulte et par des pieds d'éléphant. La colère devait être rare chez cet homme, mais terrible, apoplectique alors qu'elle éclatait. Quoique violent et incapable de réflexion, cet homme n'avait rien fait qui justifiât les sinistres promesses de sa physionomie. A qui tremblait devant ce géant, ses postillons disaient : "Oh ! il n'est pas méchant !" ... [...]
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