« Ô, Roi, par de nombreuses fois tu défias la nature et les esprits qui y habitent. Voilà dix ans, tu fis raser les bois au nord de ta cité afin de construire mille navires et partir affronter tes ennemis au-delà de la mer. Les chênes qui s’y trouvaient étaient aussi vieux que tes aïeuls et leurs racines aussi profondes que les diamants qu’on extrait dans les mines du royaume de Mandal. Parce qu’ils savent que la paix nécessite parfois la guerre, pour tes bateaux et ta victoire sur tes adversaires, les esprits se turent et te laissèrent faire. Cinq ans plus tard, tu détournas une rivière de son lit, privant des plaines entières de son fil afin d’irriguer tes nouveaux champs et rapprocher le blé de tes murailles. Des plantes aussi anciennes que l’Homme trônaient sur ces lieux où tu ôtas l’eau. Et gambadant à travers elles, se trouvaient des animaux dont la première génération s’installa avant l’édification d’Erenmar. Parce qu’ils savent ce qu’est la faim, pour tes cultures et la nourriture qu’elles prodiguent à ton pays, les esprits se turent et te laissèrent faire. Désormais, tu t’en vas chasser un cerf aussi vieux que le monde, mais nullement pour ta nation ou ton peuple. Cette traque ne profitera qu’à assouvir ton orgueil et les esprits ne se tairont pas si tu persistes dans cette voie. »
Entends-tu les cris qui s’élèvent dans les bois sombres ?
Entends-tu ces cris par-delà l’immuable pénombre ?
C’est le Roi de la Nuit et ses guerriers sans nombre
C’est le Roi de la Nuit par qui tout un jour succombe
Alors, cours, Garçon, surtout ne te retourne pas
La Bête arrive en trombe sur tes pas
Alors, cours Garçon, fuis ce sordide trépas
La Bête finira bien par perdre ta trace.
— Il est l’heure, altesse, dit une domestique dans un sourire. Allons-y.
Y aller, cette simple idée lui parut dénuée d’intérêt. Y aller ; aller à la mort de l’âme ; aller à la mort de sa flamme de femme.
Il était l’heure.
Une dame aspergea son cou de parfum ; un dernier éclat de jasmin avant que tout n’en soit plus que chagrin entre ses mains. Viviane huma cette odeur et dut contenir un pleur. Il était l’heure en effet.
Elle se détourna du miroir de ses appartements et fixa les portes à quelques pas. Il était l’heure, l’heure par laquelle les princesses devenaient reines ; l’heure par laquelle les filles se faisaient femmes. Elle soupira un grand coup et se prépara.
— Allons-y dans ce cas, dit-elle enfin.
Les portes s’ouvrirent devant elle et son destin.
Ce que tu vois, ce sont les Ténèbres et la Lumière s'affrontant depuis la nuit des temps. Chacun a la même force que son adversaire, et leur combat perdurera jusqu'à ce que ce monde s'éteigne. C'est de Maldron qu'est venue la noirceur sur mon royaume. Ce qu'il fit, je ne le déferai pas, car l'homme juste ne succombera pas aux pièges de mon enfant. En cela, il se montrera digne du cadeau qui l'attend par-delà. Dis-leur à tous qu'au dernier jour, je me tiendrai aux côtés du Cavalier Blanc. Je combattrai avec lui pour écraser son adversaire, ainsi que ceux qui le suivront. Par cela, les actes de Maldron tomberont dans le néant, tout comme la putréfaction de ses mensonges sur mon domaine.
Eût-il douté de l’effroi de Moãr jusqu’ici, Finas se mit à la craindre malgré lui.
Il voyait la terreur et ses tréfonds en son regard, en cet abysse sans fin. Et ce froid, ce froid… semblable au gel qui glace les lèvres par une chevauchée hivernale. Ce froid qui brûle la gorge et les poumons à chaque inspiration ; ce froid qui vous fait frissonner depuis l’intérieur et dont l’emprise s’étend au plus infime des poils dressés sur votre peau. Ce froid s’emparait de son corps, de son âme. Finas vit la fin et ses prémices, l’inéluctable qui attendait tout Homme quand venaient les temps, et jamais cette image ne le quitta par après.
Seuls les braves ont peur gamin, car ils savent que la Mort les guette chaque seconde. Les pleutres eux, fuient. Tu ne fuis pas aujourd'hui. Sois fier de ça.
- Il subsistera toujours une justification pour se battre, camarade. Si ce n'est pas pour le pouvoir, ce sera pour les femmes ou la bouffe. Nous aimons posséder ce que nous n'avons pas. Certains d'entre nous se contentent de ce qu'ils ont. Cela ne dura jamais. Le désir, l'ami, c'est la raison de notre violence.
- Qu'y a-t-il de mal à regarder en arrière de temps en temps ? C'est ainsi que nous nous définissons, et comme cela que nous pouvons nous améliorer.
- Tous les passés ne sont pas destinés à être explorés, lâcha l'Aigle en évitant calmement une racine d'un vieux chêne.
Il subsistera toujours une justification pour se battre […] Nous aimons posséder ce que nous n’avons pas. Certains d’entre nous se contentent de ce qu’ils ont. Cela ne dure jamais. Le désir, l’ami, c’est la raison de notre violence.
La peur est un sentiment ancré en chacun de nous, si profond qu’il peut être difficile de s’en détacher. Aucun effroi n’est comparable à celui que nous ressentons lorsque l’on sait la mort proche.