AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Moob


Moob
05 novembre 2014
J'ai connu autrefois un type qui faisait de la céramique. Il s'est marié à une femme qui s'appelle Blanche, et il habite une maison dans la montagne. À trois heures, un jour, je suis allé chez lui : il faisait très chaud, et il y avait des fèves du Japon qui grimpaient sur la tonnelle. Le soleil faisait des croûtes partout. Il travaillait à moitié nu sous la tonnelle. Il gravait des dessins aztèques sur des espèces de potiches en terre; et le soleil faisait sécher la terre, formait des petits grains de poudre tout autour du vase; après, il mettait les émaux, et le four faisait cuire les couleurs: chaleur sur chaleur. Tout ça était harmonieux. Il y avait une salamandre à queue fendue qui dormait sur le sol cimenté. Je ne crois pas avoir jamais vu autant de chaleur sur chaleur de ma vie. Le paysage était à 39° et le four à 500°. Le soir sa femme Blanche faisait bouillir les fèves du Japon; c'était un type bien : il était tous les jours presque mort. Tout blanc, un morceau d'air dansant, un cube équilatéral en train de cuire.

Je me suis dit que je pourrais avoir, moi aussi, une maison de campagne. Sur le côté d'une espèce de montagne caillouteuse; sous les pierres bouillantes, on aurait des serpents, des scorpions et des fourmis rouges.

Voici à quoi je passerais mes journées : j'aurais un bout de terrain plein de cailloux, exposé au soleil du matin jusqu'au soir. Au milieu du terrain, je ferais des feux. Je brûlerais des planches, du verre, de la fonte, du caoutchouc, tout ce que je trouverais. Je ferais des sortes de sculptures, comme ça, directement avec le feu. Des objets tout en noir, calcinés dans le vent et la poussière. Je jetterais des troncs d'arbres et je les ferais brûler; je tordrais tout, j'enduirais tout d'une poudre crissante, je ferais monter haut les flammes, j'épaissirais la fumée en volutes lourdaudes. Les langues orange hérisseraient la terre, secoueraient le ciel jusqu'aux nuages. Le soleil livide lutterait avec elles pendant des heures. Les insectes, par milliers, viendraient s'y précipiter, et s'enfouiraient la tête la première dans la base incolore du foyer. Puis, élevés par la chaleur, grimperaient le long des flammes comme sur une colonne invisible, et retomberaient en douce pluie de cendres, délicats, fragiles, métamorphosés en parcelles charbonnées, sur ma tête et sur mes épaules nues; et le vent des flammes soufflerait sur eux et les ferait frémir sur ma peau; il leur donnerait de nouvelles pattes de nouveaux élytres, une vie nouvelle, qui les lèverait dans l'atmosphère, et les abandonnerait, grouillants, flous comme des miettes de fumée, dans les trous des cailloux, jusqu'aux pieds de la montagne.

Vers, disons, cinq heures de l'après-midi, le soleil gagnerait. Le soleil brûlerait les flammes. Il ne laisserait plus, au centre du terrain, qu'une tache noire, parfaitement circonférique; tout le reste serait blanc comme un paysage de neige. Le brasier aurait l'air de l'ombre du soleil, ou d'un trou sans fond. Et il ne resterait que les arbres calcinés, les masses de métal foudroyé, fondu, le verre fondu, les gouttes d'acier parmi les cendres comme de l'eau. Tout aurait poussé comme des plantes obscures, avec des tiges grotesques, des bavures de cellulose, des crevasses où grouille le charbon. Alors je les prendrais toutes, ces formes tétaniques, et je les mettrais en tas dans une chambre de la maison. je vivrais bien au milieu d'une montagne de cailloux blancs et d'une jungle incendiée. Tout ça est connecté avec la chaleur. Elle décomposerait tout pour recomposer un monde pourri par la sécheresse; la simple chaleur. Avec elle, tout serait blanc, et dur, et fixé. Comme un bloc de glace au pôle Nord, ça serait l'harmonie matérielle, grâce à quoi le temps ne coule plus. Oui, ce serait vraiment beau. Le jour, ce serait, chaleur plus chaleur, et la nuit, noir plus charbon.

Et un jour, je... (page 213) ...
Commenter  J’apprécie          60





Ont apprécié cette citation (2)voir plus




{* *}