Jacques Baguenard

Le ciel nous est tombé sur la tête ! Quelle surprise ! Les bretons sont en colère !

Devant la multiplicité des informations et le vague dans lequel elles sont souvent restées, il était nécessaire de clarifier et d'expliquer les événements de cet automne.

Qui sont ces bonnets rouges ?

Ont-ils un rapport, si lointain soit-il avec leurs ancêtres de 1675 ?

Est-ce un mouvement politique ou populaire et spontané ?

Ce livre tombe à pic pour démêler l'écheveau, parfois assez confus, de cette révolte. Et je remercie les éditions "Dialogue", ainsi que les auteurs de l'ouvrage d'avoir bien voulu m'adresser celui-ci à l'occasion de la dernière masse critique.

J'ai lu ce livre lentement, avec application.

La dernière page refermée, je l'ai laissé couvert d'annotations.

Si je l'ai lu avec lenteur et attention, c'est avec prudence et circonspection que je l'ai interprété, sans pouvoir toutefois toujours éviter les "a priori".

Pourtant je vais veiller ici à parler du livre et non de mon avis sur ce mouvement de colère qui est purement personnel et que je me réserve.

L'ouvrage est articulé en trois parties qui suivent une préface signée Emmanuel Todd. Elles sont indépendantes les unes des autres et n'engagent la responsabilité que de leurs auteurs.

Trois regards, celui du journaliste, un deuxième politique et le dernier qui est le regard croisé de deux économistes, tentent de nous expliquer ce grondement venu de l'Ouest.

L'exposé est clair, bien structuré, précis.

La courte préface de trois pages présente assez judicieusement l'ouvrage comme il s'annonce.

Déjà se pose la question centrale : cette révolte est-elle anti-système ou n'est-elle que le baroud d'honneur d'un passé révolu ?

Puis s'amorce l'exposé avec ses trois parties.

La première fait le récit à chaud "des quarante jours des bonnets rouges" et montre comment une partie de la Bretagne va se soulever.

Mais aussi que la question va diviser les bretons.

Les deux autres parties, politique et économique, vont intelligemment élargir le débat.

Ce livre est passionnant. C'est un livre d'actualité. Il doit se lire sans tarder.

Toutefois il inscrit ce mouvement des bonnets rouges dans la marche et l'évolution de notre pays tout entier sans le marginaliser comme exclusivement régional. Et c'est ce qui en conserve l'intérêt passé les frontières de la Bretagne.

Même s'il n'est pas exempt de quelques parti-pris, cet ouvrage permet à tous de se faire un avis et de préciser sa pensée. C'est bon essai, un pari réussi.

Quatre "regards croisés" pour tenter de comprendre le phénomène de la crise bretonne. On pourrait même dire cinq regards, tant la préface d'Emmanuel Todd (historien, anthropologue, démographe et sociologue) apporte un éclairage intéressant en replaçant cette révolte dans son contexte socio-économique. Il en pose les causes profondes et souligne ceci: "si même la Bretagne, avec son dynamisme éducatif, son homogénéité culturelle, ses solidarités traditionnelles, éprouve des difficultés sérieuses dans la désorganisation économique, politique et fiscale actuelle, aucune région de France ne pourra au final s'en sortir."

Sous les plumes de René Pérez - journaliste - de Jacques Baguenard - professeur de droit constitutionnel et de science politique, puis de Erwann Charles et Hervé Thouement - tous deux Maîtres de Conférences dirigeant ensemble le master de "Management et ingénierie du développement des territoires en Europe" - l'éclairage est multiple. René Pérez décrypte l'ascension du mouvement en s'appuyant sur les dates clés et les grands rassemblements qui ont fait la une des journaux télévisés. Chacun se souviendra de cette Bretagne qui n'en finissait pas de faire parler d'elle: Bonnets rouges, tempêtes et inondations: même la météo s'est mise au diapason du vent de la révolte.

Cet ouvrage aborde également les répercussions de la crise bretonne dans le monde politique, soulignant tour à tour "discours convenus" émanant du gouvernement ou totale impuissance des élus locaux... Car il s'agit aussi de cela: une incompréhension de part et d'autre qui a sans doute amplifié le phénomène.

De nombreuses pistes sont proposées dans le dernier chapitre pour sortir la région du marasme économique dans lequel elle semble enlisée. Rédigée à quatre mains par Erwann Charles et Hervé Thouement, cette dernière partie apporte une lumière au bout du tunnel... "Dans le futur, la Bretagne occidentale, territoire singulier s'il en est, doit s'appuyer d'abord sur les trois ressources majeures qui font sa spécificité, mais aussi sa "richesse": la terre, la mer, les hommes..." On sent parfaitement, tout au long de cette lecture, la volonté affichée et même soulignée par les Bretons, de prendre les choses en mains eux-mêmes pour résister aux diktats de l'Europe. "Le désenclavement commence ici et maintenant. Il sera imaginé ici, par des hommes d'ici."

L'avenir nous dira si la Bretagne saura relever tous ces défis, mais pour l'heure, l'automne est terminé, le printemps se profile, mais rien n'est terminé pour les bonnets rouges dont le prochain rassemblement est fixé au 8 mars aux " Etats généraux de la Bretagne" et au cours desquels le comité "Vivre, décider et travailler en Bretagne" dévoilera le contenu des "cahiers de doléances" qui circulent depuis plusieurs semaines.

Merci à Babelio, ainsi qu'aux éditions Dialogues (ma librairie préférée ;-)) de m'avoir adressé cet ouvrage dans le cadre de masse critique.

26 octobre 2013 : journée de guérilla autour du portique de Pont-de-Buis entre Brest et Quimper. Les Bonnets Rouges apparaissent pour la première fois. Quatre blessés dont un grave.

2 novembre : Manifestation à Quimper. Les organisateurs espéraient la présence de 5000 personnes. Il en vient plus de 20 000 ! Quelques affrontements en fin de manifestation seront montrés en boucle à la télévision.

30 novembre : Démonstration de force à Carhaix. 17 000 manifestants pour la Préfecture, 35 000 selon les organisateurs.

Un slogan maintes fois martelé : « Vivre, DECIDER et travailler au pays ».

Une conséquence : suspension de l'écotaxe. En moins de deux mois, cette mobilisation massive et citoyenne qui verra défiler côte à côte, patrons et ouvriers, agriculteurs, commerçants et ouvriers, riches et pauvres, déstabilisera fortement le gouvernement au point de pousser J.M. Ayrault à annoncer une réforme fiscale. Ainsi le peuple de la pointe de Bretagne s'était levé et avait crié s colère et sa détresse face à l'hostilité des syndicats (excepté FO qui soutiendra un moment avant de se retirer très vite) et des partis de gauche, face à l'indifférence de la droite et à la stupéfaction des médias. Alors cet automne des Bonnets Rouges, crise passagère, tocsin qui sonne ou, comme l'explique Emmanuel Todd dans sa préface mesurée, « événement annonciateur d'une nouvelle révolution française ? »

« L'automne des Bonnets Rouges » est un essai socio-économique qui se présente sous la forme d'une étude comportant trois volets indépendants les uns des autres. Sous la plume du journaliste René Pérez du « Télégramme », on lira un compte-rendu très fidèle des évènements, relaté presque heure par heure. La parole est ensuite donnée à Jacques Baguenard, professeur de droit à l'UBO (Université de Bretagne Ouest) pour une première analyse et un décryptage fort pertinent dont le lecteur retiendra surtout le travail de recherche sur les interventions des parlementaires, députés et sénateurs socialistes bretons avec cette découverte sidérante : presque tous participent à des commissions n'ayant rien à voir avec les problèmes de leur région. Presque tous interviennent à la tribune pour tout autre chose que ce qui préoccupent les gens et quand cela se produit c'est à posteriori, presque pour commenter les évènements. Pas étonnant que tout le monde ait été surpris par ce sursaut populaire. Et pourtant « Prévoir, c'est gouverner », dit-on. Ecrite à quatre mains par Erwann Charles et Hervé Thouement, maîtres de conférence en sciences économiques, la dernière partie présente un aperçu de l'histoire économique de la région avec ses siècles d'or (XV ème, XVIème et XVIIème siècle), et ses périodes de recul. Il fallut le volontarisme gaullien et quelques révoltes pour permettre un premier désenclavement de ce Far-West français et un premier décollage économique qui amena à parler de « modèle breton ». Pour eux, les causes de la crise bretonne seraient les coups de boutoir du G.TE.V. Comprendre sous ce sigle barbare, la globalisation des marchés (mondialisation des échanges avec son dumping social et la concurrence déloyale de l'Allemagne dans les filière agro-alimentaires), la révolution technologique, la contrainte environnementale et le vieillissement de la population.

L'intérêt de ce livre bien conçu, bien écrit et bien documenté, au-delà des faits, de leur explication historique, sociologique, politique et économique, réside également et sans doute principalement dans le tout dernier chapitre intitulé « Des pistes d'avenir pour la Bretagne occidentale ». Le cap de l'Europe ne manque pas d'atouts du point de vue de la ressource marine, de l'agro-alimentaire, de l'exploitation de l'énergie éolienne ou hydrolienne, des pôles d'excellence comme les universités (nos professeurs n'oublient pas de prêcher pro domo), de la haute technologie et bien sûr du tourisme vert ou bleu. Au total un ouvrage fort intéressant pour qui s'intéresse à un phénomène qui va bien au-delà du fait divers.
Lien : http://www.etpourquoidonc.fr/