Jacques Borgé

Extraits de " Un drôle de Président" - Portraits sans complaisance de Présidents de Chambre, dressés par René Benjamin au début du siècle

Et il porte agréablement la tête, toujours soucieux d'une attitude qui, surtout au début de l'audience, contraste avec les miséreux qu'on assied sur le banc fatal.
Ce sont les vagabonds qu'on liquide d'abord. Ils sont une dizaine, qu'on dirait enfilés dans une broche, serrés à ne pas pouvoir se tenir de face ; les têtes seules remuent sur des corps immobiles. Ils n'arrivent même plus à se gratter, quoique la vermine les dévore. Ils sont blêmes dans des habits verdâtres, barbe mêlée, figure crasseuse, le col haut, comme si la Justice leur donnait froid. En vérité, elle les laisse impassibles. Abrutis de misère, ils vous fixent de leurs yeux esquintés qui ne peuvent dormir nulle part ; ils ne sentent plus leurs pieds : ce n'est qu'une brûlure ; ils ne sentent plus leur tête : un étourdissement.
[...]
Le suivant : longs cheveux dans le cou ; redingote de philosophe.
- C'est vous Joyeux ? Vous dormez sur les bancs, et vous ne faites rien ?
- Oh ! si ! ...
- Quoi donc ?
- J'bricole... J'donne des renseignements.
- A qui ?
- Ceussent qui m'en demandent... Puis j'ouvre les portières.
- Sans que personne ne vous le demande. Tout cela n'est pas sérieux. Vous devez travailler régulièrement.
- J'ai des rhumatisses.
- Tout le monde a des rhumatismes ! Deux mois de prison.
Deux mois, ce n'est rien. M. le Président se souvent d'avoir eu deux mois la même maîtresse : que c'est vite passé !