LEUR NOËL
C'est Noël...Comme chaque année
Jacqueline, qui a quatre ans,
Met ce soir dans la cheminée
Deux de ses souliers...les plus grands !
Elle est émue; elle est heureuse;
Elle ne sent pas le sommeil,
Toute à l'attente fiévreuse
Des surprises de son réveil.
Et, prévoyant l'immense joie
Que sur ce visage enfantin
Les joujoux que le ciel envoie
Feront briller demain matin,
Sa mère se plaît à sourire,
Eloigne un instant les malheurs...
Mais à la fin elle soupire
Et ses yeux s'emplissent de pleurs;
Car aussitôt elle imagine
Ce qu'aurait été ce beau soir
Si le papa de Jacqueline
Etait revenu pour la voir.
Elle songe à quelle distance
Est la triste prison de bois
Où, loin de la terre de France,
Il souffre depuis de longs mois...
Et lui, là-bas, à la même heure,
Et ses frères d'exil aussi,
Pour que la coutume ne meure
Fêtent gaiement ce Noël-ci.
Et tous ces fils, et tous ces pères,
Que le sort a voulu lier
Du même lien des misères,
Rient et chantent...pour oublier.
Mais dans la baraque enfumée
Comme en rêve il entrevoit
Sa fillette, sa femme aimée;
Il lui semble entendre sa voix;
Il croit contempler en famille
Les petits souliers, le sapin
Qui de mille couleurs scintille,
La naïve crèche en bois peint...
Ayant compris pourquoi se mouille
Le doux regard de sa maman,
L'enfant tout à coup s'agenouille :
"Jésus, dit-elle simplement,
J'ai réfléchi, je vous assure :
Des beaux joujoux je n'en veux pas;
Mais cette nuit dans ma chaussure
Venez déposer mon papa! "
Noël 1941