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Citation de Yatova


Yatova
09 septembre 2023
Jacques Julliard
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Sur son perron, à Bourg-la-Reine il accueillait le visiteur en ouvrant les bras d’un geste amical. Autour d’un verre de châteauneuf-du-pape, il entamait la conversation. On passait de la gauche à Pascal, de la droite à Proudhon, des passionnants petits riens qui font les « grandeurs d’établissement » aux questions décisives qui rythment l’aventure intérieure.

Œil vif, mains en mouvement, dans un silence méditatif, il cherchait l’exactitude avant de trancher. Gaieté et gravité, malice et profondeur, comme dans ses inimitables éditoriaux, il usait avec grâce et finesse de toutes les ressources d’une langue qu’il aimait passionnément. Sa voix s’est tue, sa plume est orpheline et nous avec.

Il avait inauguré, il y a six ans au Figaro, « leslundis » de Jacques Julliard. Un carnet qu’il dictait à sa chère épouse, Suzanne, au début de chaque nouveau mois. C’était un plaisir pour l’esprit, un événement pour l’intelligence. Les esprits étroits, les maniaques du classement y voyaient le passage à droite d’un intellectuel de gauche. C’était tout autre chose : les pensées vagabondes ne peuvent se déployer qu’en toute liberté. Elles s’épanouissaient dans nos pages, mais Julliard restait, comme Kolakowski, socialiste, conservateur et libéral.

Sa véritable généalogie, pourtant, n’était pas politique. C’est le sang des écrivains qui coulait dans ses veines. Il était l’un des membres de cette compagnie. Julliard les fréquentait sans exclusive : Balzac, Chateaubriand et Joseph de Maistre, Péguy, Simone Weil, Camus. Il pouvait évoquer Rebatet avec François Mitterrand, s’enchanter des poèmes d’Aragon, admirer la lucidité de Houellebecq…

Parfois, le samedi, pour rester avec eux, il recopiait leurs pages, ligne à ligne sur un cahier d’écolier. Quand il les quittait pour rejoindre l’arène politique et médiatique, sa clairvoyance, sa puissance d’analyse lui permettaient de jauger les ambitions, de sentir les humeurs du pays, de déchiffrer le mouvement du monde. Son style avait le pouvoir rare de déchirer le voile pour ouvrir nos yeux.

Raisonnablement anticlérical comme le sont les bons chrétiens, il poursuivait, in pectore, le Quaerere Deum des premiers moines bénédictins. Dans la vie, les livres, l’Histoire, l’amour des êtres, les chefs-d’œuvre de l’art et de la nature, il cherchait ce Dieu qui, dans la nuit du 8 septembre 2023, l’a accueilli, les bras ouverts, sur le perron.

Vincent Trémolet de Villers
Journal Le Figaro



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