Jacques Prévot

De mes nombreuses lectures, il ressort trois concepts qui me semblent fondamentaux : la connaissance (que peut-on savoir et comment apprendre, la pédagogie, le système scolaire), le langage (comment s’exprimer de manière à être compris de tous sans sophisme inutile ni paralogisme, de l’importance des mots et des définitions pour adopter un langage commun) et la justice (protéger les plus fragiles et mettre fin aux conflits de toute nature, maintenir la paix, l’égalité et assurer une redistribution équitable des fruits de la croissance). La justice, le langage et la connaissance sont les piliers sur lesquels doit reposer toute société humaine, la justice est l’un des piliers les plus importants, car rien n’est possible sans un climat de paix et l’égalité et la liberté sont impossibles sans la justice. En effectuant des recherches sur cette thématique, je suis tombé plusieurs fois sur le nom de Coménius. Je me suis souvenu alors que je possédais quelques livres sur ce personnage souvent cité, mais peu connu.



Michelet a dit de lui qu’il était « le Galilée de l’éducation » voilà de quoi attiser ma curiosité.



Coménius est né en 1592 en Moravie (Tchéquie) et mort en 1670. C’est un théologien protestant, et un philosophe engagé, mais il est surtout connu comme pédagogue. Il a travaillé toute sa vie à diriger des écoles et surtout à écrire de très nombreux ouvrages sur la didactique et la manière d’enseigner tout à tout le monde. L’ouvrage de Jacques Prévot « Coménius : L’utopie éducative » résume l’ensemble de l’œuvre de Comenius traduite du latin. C’est dans son ouvrage principal « La grande didactique » que Comenius a le plus méthodiquement vulgarisé son projet éducatif, ses méthodes et toutes les étapes de sa réflexion pédagogique. Il annonce ainsi ses objectifs :

– enseigner tout à tous

– enseigner vite sans lassitude ni ennui

– donner un enseignement solide, surtout pas superficiel.



N’oublions pas que nous sommes au début du XVIIe siècle, les méthodes d’enseignement sont strictes et plutôt élitistes. Le fouet et le bâton sont des instruments pédagogiques, le maître parle et l’élève écoute sans participer, et les femmes sont exclues. Comenius propose un système complètement révolutionnaire. Il propose tout simplement l’école gratuite, laïque et obligatoire pour tous. C’est aussi un féministe avant l’heure : « on ne peut donner aucune raison pour exclure le sexe faible du soin des études… Les femmes sont douées d’une intelligence vive et d’une capacité de connaissances égales ou même supérieures aux nôtres » Page 71

Ses idées sont très modernes :

« Avant d’inculquer des règles à ses élèves, le maître doit les rendre avides de savoir et dociles à un enseignement. »Page 78 « Il faut enflammer les enfants de l’amour du savoir ».



La vision de Comenius englobe tous les aspects du problème et est très cohérente, pour apprendre beaucoup il faut vivre longtemps et apprendre toute sa vie, il propose trois règles pour conserver longtemps une bonne santé « se nourrir frugalement, faire de l’exercice physique et se livrer à des activités de divertissement, jouer, discuter, faire de la musique, etc. » page 82



Il préconise d’étudier le matin et de ne consacrer que 4 heures par jour à l’école. Il préconise de ne donner aucun devoir à l’élève avant de lui avoir montré la forme et les règles à suivre. Il faut montrer à l’élève à quoi sert dans la vie quotidienne ce qu’on lui apprend. L’élève doit parvenir à concevoir parfaitement l’utilité de chaque matière.



Il pense qu’on ne retient bien que ce que l’on a enseigné ou exposé aux autres c’est la raison pour laquelle il faut demander aux élèves de reproduire eux-mêmes la leçon du maître devant la classe.



Comenius insiste sur le rôle pédagogique de l’image et de l’exemple. Il faut que les élèves puissent voir l’objet de l’étude pour mieux mémoriser. Il est l’inventeur du livre scolaire illustré. Il propose d’associer l’oreille et l’œil, la langue et la main, les idées, les mots, les gestes. Il suggère de tapisser les murs de la classe de tout ce qui est objet de leçons, théorèmes, règles, images ou emblèmes de la discipline abordée. (il a inventé le multimedia). Il préconisait d’enseigner aux enfants le jeu d’échecs pour le développement de l’esprit ; il bannissait tous les jeux de hasard et mettait en valeur l’activité théâtrale (qui pourtant n’avait pas bonne réputation à l’époque).



L’œuvre de Comeninius est celle d’un humaniste qui voit dans la vie de l’homme, de la naissance à la mort, l’occasion de l’éducation permanente. Il voulait créer une langue universelle sans laquelle les relations des hommes sont bloquées par les malentendus de la communication. « La confusion ne tient pas seulement à la dissonance entre les langues, mais à ceux qui les emploient. D’où ces manques, ces obscurités, ces ambiguïtés infinies qui provoque entre les lettrés d’interminables querelles sur les mots » page 231. Il voulait créer des organisations internationales pour l’éducation, la culture et la justice se situant ainsi comme le véritable initiateur de l’ONU et surtout de l’UNESCO dont le but est « d’assurer à tous le plein et égal accès à l’éducation, la libre poursuite de la vérité objective et le libre-échange des idées et des connaissances, et de développer et de multiplier les relations entre leurs peuples en vue de se mieux comprendre et d’acquérir une connaissance plus précise et plus vraie de leurs coutumes respectives ».



Comenius doit être considéré comme le grand précurseur des tentatives contemporaines de collaborations internationales sur le terrain de l’éducation, de la science et de la culture.



Mais Comenius et un homme de son temps, il est très religieux et fonde sa philosophie sur la foi chrétienne en s’inspirant de la Bible. Il conserve une vision encore rétrograde dans le domaine scientifique qui n’est pas sa spécialité, mais il n’en reste pas moins un pédagogue de génie et comme le dit Jean Piaget dans un chapitre qui clôt l’ouvrage « Il a posé les bases d’une science de l’éducation et une théorie de la didactique envisagée à titre de discipline autonome ».



Un livre que je recommande à tous ceux qui s’intéressent à l’enseignement en général. Comenius avait plus de 300 ans d’avance sur les théories pédagogiques modernes et il peut encore nous aider aujourd’hui à améliorer notre système d’éducation.



– « Coménius : L’utopie éducative », de Jacques Prévot, Éditions Belin (1981), 286 pages.



A lire également, un ouvrage plus récent (1995) d'Olivier Cauly "Comenius" aux éditions du Felin, très complémentaire du premier dans la mesure ou il retrace avec plus de détail la vie de Comenius alors que le livre de Jacques Prévot présente une synthèse des textes du grand pédagogue.