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Quelques jours après ma rencontre avec Simone Veil, je suis invité à donner une conférence sur les dynamiques génocidaires. À la fin de l'intervention, une dame s'approche, je suis fatigué car toute conférence m'oblige à mémoriser mon texte, je l'écoute donc d'une oreille un peu distraite.
- Puis-je vous poser une question, monsieur ? me demande-t-elle.
- Oui, bien entendu, lui dis-je en me concentrant sur sa voix.
- Êtes vous juif ?
La question est nette, elle me déconcerte, je bafouille un :
- Non, madame, je ne le suis pas.
Je perçois son étonnement, je l'entends se dire : "Vous n'êtes pas juif, mais comment alors se fait-il que vous vous soyez intéressé à notre histoire ? " Et le sous-entendu : "Donc vous n'avez pas vécu la persécution, vous n'avez pas perdu des membres de votre famille... et vous vous intéressez à nous ? Je suis étonnee."
Peut-être que cette dame veut me signifier simplement sa reconnaissance : "Vous vous intéressez à nos familles alors que... Vous luttez contre l'indifférence et l'ignorance alors que... Merci!" Je ne sais pas. Je n'ose pas en savoir plus, elle non plus.