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Citation de Charybde2


J’avançai. La nuit tombant, je cherchai où camper. Et je vis, non loin de la route, un feu brûler et des gens camper sous un grand pin. Je m’approchai, et fis ainsi la connaissance de Sukmit, alias Frank Martin, aussi connu sous le nom de Bieber Frank, voire sous celui de « ce fou de médecin indien bossu », qui devint par la suite mon compagnon inséparable (dans combien de fossés avons-nous dormi ensemble avec une bouteille d’eau de feu ?). Fou comme pas deux, de longs bras puissants, un œil perdu, l’autre malicieux, une immense bouche sensuelle parsemée de quelques dents. C’était un jeune homme d’une trentaine d’années.
« Hello, puis-je camper ici ? »
« Pour sûr ! Pourquoi pas ? C’est ma terre, terre indienne, je suis pas comme l’homme blanc, je laisse tous rester sur moi. Tous bienvenus, je suis médecin indien. D’où tu viens ? Où tu vas ? Assieds-toi avec nous. Je parie que jamais tu as mangé bouillie-de-courge. Meilleur goût avec le sel. Les Indiens autrefois avaient pas le sel. Tu manges le sel et tu as la douleur des yeux. »
Il se retourna vers une femme vieille et grosse et se mit à parler le Pit River à toute vitesse. Ils parlaient beaucoup plus clairement que Jack Folsom. Je remarquai une fois de plus la mélopée singulière de leurs tons hauts et bas, de leurs syllabes longues et brèves, comme du Morse. Et quelles rudes gutturales ! Ces deux-là semblaient toujours devoir crier à tue-tête, comme font les Espagnols (c’est le cas de la plupart des Pit Rivers). Une autre Indienne était assise près du feu. Elle était petite et décharnée, et ne disait rien. Sukmit la montra du doigt en disant : « C’est mon oncle. Il parle pas la langue blanche. J’ai pas de foin pour ton cheval. Il supporte le piquet ? »
La bouillie de courge avait le goût de la soupe aux pois, plus ou moins. Il y avait aussi des pommes de terre frites, mais jamais je n’en avais vu frites de cette façon, lentement étuvées à la graisse dans une poêle. Je les trouvai répugnantes mais mangeai par politesse. Sukmit ne cessait de parler et de se vanter. De temps en temps, sa mère, la grosse femme, arrêtait d’attiser la flamme, le regardait droit dans les yeux et disait en anglais « Oh, you are crazy ». « Elle dit que je suis fou parce que je suis médecin, tous les médecins indiens sont fous. » L’autre femme, « l’oncle », ne disait rien. Elle n’a jamais rien dit. Elle mourut deux ans plus tard.
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