Jamal Zemmouri

Ostende, 23h08
Devant les néons de l’hôtel, la carte est badgée et l’accès s’ouvre, tenant la porte pour sa candidate afin de mieux la contempler, le molenbeekois dit :
— Muse germanique, t’as vraiment un truc consubstantiel dans ce pantalon, faut pas le salir avant la conf de presse. Avec ce chemisier, on surpassera Edward Berneys et Giovanni Boldini enfin putain d’sa race.
À l’intérieur de l’hôtel, la réception avec le nostalgique salon est illuminée par de subtils points pour suggérer l’alchimie des âmes reliées.
— C’est qui ce Berneys ? J’en ai conscience, on appelle ça le distingué charme Bxl-Sud selon ma copine l’iranienne du Square des Héros.
— Berneys est un féministe et un honnête émancipeur.
— Ha, j’vois, encore un baratineur et ouvre l’ascenseur. Dis, tu danses bien pour ton âge ! T’as suivi des cours de salsa ou flamenco ?
— Un reste des cours de boxe, le marocain est réputé pour ses coups droits et uppercut, c’est un art viril pas comme le tango des tantouses.
— Quand on s’séparera, tu m’tabasseras pas ? J’tiens à mon fin délicat nez.
— J’suis pas encore responsable d’moi, dit-il en regardant sa muse.
— Et le Palais de Justice, tu l’vois ? demande Barbara en mimant une position d’aïkido.
— Tous les jours, j’rêve de l’bombarder mais j’ai muri, j’préfère le garder pour condamner les délinquants, dit le molenbeekois à l’intérieur de l’ascenseur et dans cet espace confiné, il sort son smartphone et le consulte.
Rien. Aucun message, c’est qu’une ingrate ! Ma fille est pire que moi.
Ensuite, il le glisse dans sa poche, sourit poliment et regarde sa cible dire, les mains sur les hanches :
— Alors, sa maman Najia vérifie si son petit chéri s’est brossé les dents ou c’est ton plan féminin du samedi qui émerge du néant ? Tu m’quittes déjà ?
— Tu m’fais rire, j’vérifiais juste si mes actions plafonnent. J’ai investi avec mon prof de sociologie dans un révolutionnaire système de robot-char coté à Wall Street et j’inspectais aussi si ma fille avait répondu à mes 2000 messages. Quant à ma mère, elle dort zen hamdoullah parce qu’elle m’a délégué la beauté et le talent molenbeekois. C’est pas d’ma faute, c’est dans nos gênes et pour mon plan du samedi soir, disons, qu’il est plus-que-parfait, réplique Karim en regardant sa proie avec ses yeux noirs de puma.
Dans un hôtel, la nuit, c’est un classique le baiser dans ce décor si romantique.
L’ascenseur, c’est fait pour ça et le fruit est mûr.
Vas-y, embrasse cette rouquine, elle s’offre, elle a capitulé, elle l’exige même.
Sacrifie-toi, elle se solde...
Prisonnier du fer du début du siècle, l’élévateur escalade lentement.
Dans l’ascenseur au milieu de la nuit, verdammt , c’est la première fois qu’un mec me saute pas dessus. Il sait encore se contrôler ce Molenbeekois, mine de rien.
Avec lui, j’espère que j’finirai pas dans le mur, parce que son projet est borderline.
À quelque centimètres l’un de l’autre, les âmes se dévisagent et se savourent du regard pendant le déplacement du monte-charge.
C’est un sanguin et fougueux, comme mon ex et certains molenbeekois. Mais il a ce pu-tain de charme méditerranéen, j’y peux rien ! …C’est mon type, c’est plus fort que moi.
Et j’lutterai pas contre mes goûts.
Dans la cage de fer, le temps dure longtemps…
Avec ses yeux de fakir, il cherche à m’hypnotiser et j’entends déjà la flûte d’Marrakech.
Espérons que ce soit le bon et à Marrakech, la retraite est mieux qu’à Uccle.
Arrivée au 2ème étage, une petite cloche vibre et la porte métallique s’ouvre.
Barbara s’avance en dansant pour tourner dans le couloir où les statues évoquent les années folles. Karim suit derrière pendant que les tableaux de Boldini traversent son disque dur neuronal en flash.
Ce top model germanique m’vengera de tous ces pseudos peintres contempos, sans oublier les bien-pensants et le fameux public de Bruxelles-Sud, ces artistes dans l’âme et critiques à la langue chargée de venin sans expertise évidemment…
Dans le couloir, devant la porte de la chambre bleue, la mentor attire son esclave et l’embrasse pendant qu’elle se rapproche de la porte, clé en main.
Avec de la pratique et d’la bonne herbe, j’m’imposerai dans la prestigieuse galerie Quintessence, c’est le top de Bxl-Suuuud avant ma confirmation à Paris comme Boldini.
Dans les bras de Karim, la candidate vise difficilement la serrure qui s’ouvre et avec le talon de ces escarpins, elle pousse la porte pour s’avancer en tirant son entiché par sa veste… et sur des éclats de rires, l’entrée se referme. Illico, des pétales de roses s’envolent dans l’air et atterrissent dans une lente danse visuelle sur le lit romantique pour les âmes mal-embarquées.

36. Avant le braquo un thé à la menthe, frérot ?
Le scandale commence lorsque la police y met fin.
Karl Kraus

3ème Jour de Traque, 27 Mars, Bruxelles, 06h13
Au commissariat de Bruxelles-Ouest, les enquêteurs ont finalement localisé la cible Marzaoui dans la commune de Jette. Une source non fiable a filé une adresse à Vanbersey, chef de la cellule anti-terrorisme fédérale. La cible se trouve au deuxième étage du 3259 B à la rue Giele et les enquêteurs français mettent la pression sur les belges pour foncer dans le tas en plein jour à l’heure de la prière mais la cellule anti-terrorisme fédérale lance une perquisition avec ses unités spéciales. Les mesures de sécurité sont maximales dans le quartier et des tireurs sont positionnés sur les toits au cas où.
— On sait jamais s’il a une ceinture d’explosifs Armani, vous avez bien fait, dit Pierini, le procureur fédéral dans son manteau à Vanbersey, chef de la cellule anti-terrorisme fédérale, cagoulé, devant une pharmacie.
Dans la rue Giele, des véhicules blindés anti-déminages, voitures de flics en pagaille, chiens excités, ambulances, robots pour le déminage et une tren-taine de flics patientent nerveusement. Le quartier est bouclé à 500 mètre à la ronde.
— Police Fédérale, habitants du 3259 B, sortez et obéissez aux injonc-tions, dit le négociateur à l’accent flamand, dans le porte-voix.
Devant un salon de coiffure tenu par des irakiens en grande discussion avec l’inspecteur Hamza et Konaté de l’antidote, le commissaire Maxime dans sa veste de motard interpelle le chef Vanbersey :
— C’est un total foirage ton opé, notre client est absent, il n’est pas con, ton tuyau c’est bidon. Jamais notre mec reviendra se cacher chez lui, c’est pas rationnel mais bon, tout est possible avec nos draris !
La fouille du domicile prouve qu’il est vide. À côté, un déménagement s’effectue dans la maison voisine et des meubles sont chargés dans un camion qui démarre. Et comme la fouille n’a rien donné, le major vise son jeep et se dirige vers son prochain dossier mais Houria l’a déjà sonné cinq fois.
Le tagine d’œufs à la viande séchée au beurre rance n’attend pas.
— Une fois refroidi, le beurre se solidifie, Jandro !
Quelques minutes après, le soldat sonne à la porte de sa promise.
Après le repas, le soldat du renseignement quitte son orientale avec le ventre rempli pour rejoindre le bunker et protéger la civilisation occidentale.

03 Mars, Molenbeek-Saint-Jean, 17h25
Une patrouille banalisée de l’Antidote, la nouvelle cellule anti-délinquance du quotidien de Bruxelles-Ouest sécurise les rues du quartier de la Gare de l’Ouest de Molenbeek-Saint-Jean. Au volant, le commissaire Maxime Van Malder, 20 ans de service, récemment muté à la tête de cette nouvelle brigade. À ses côtés, Steph Maertens vient d’intégrer l’équipe après une carrière de juriste dans un cabinet de Bruxelles-Sud. Au milieu des embouteillages, le commissaire Van Malder scrute et analyse les milliers d’informations. Une main sur le volant, l’autre tenant une cigarette, il dit à son collègue :
— Môme, j’disais à ma mère Edwige « Grand, j’roulerai en BMW noire ! ».
— Et ta moeder répondait quoi ?
— Ma vieille, instit à l’école fondamentale Sainte-Christina à Molenbeek disait « oublie ces bagnoles de voyous ! » et faut avouer, inspecteur, que du haut de mes 7 ans, j’saisissais pas en quoi acheter une BMW pouvait faire de moi un délinquant du futur. Quarante ans plus tard, j’comprends mieux le sens de ses paroles éclairées.