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Citation de Partemps


Les Morts [extrait]


L'air de la pièce lui glaça les épaules. Il s'étendit prudemment sous les draps et s'allongea à côté de sa femme. Un par un, ils devenaient tous des ombres. Mieux vaut passer hardiment dans cet autre monde, dans la pleine gloire de quelque passion, que de disparaître et de dépérir lamentablement avec l'âge. Il pensa à la façon dont celle qui était à côté de lui avait enfermé dans son cœur pendant tant d'années cette image des yeux de son amant quand il lui avait dit qu'il ne voulait pas vivre.

De généreuses larmes remplirent les yeux de Gabriel. Il n'avait jamais ressenti cela envers aucune femme, mais il savait qu'un tel sentiment devait être de l'amour. Les larmes s'accumulèrent plus abondamment dans ses yeux et dans l'obscurité partielle, il crut voir la forme d'un jeune homme debout sous un arbre ruisselant. D'autres formes étaient proches. Son âme s'était approchée de cette région où habitent les vastes armées de morts. Il était conscient de leur existence capricieuse et vacillante, mais ne pouvait pas l'appréhender. Sa propre identité s'effaçait dans un monde gris et impalpable : le monde solide lui-même, dans lequel ces morts avaient autrefois grandi et vécu, se dissolvait et diminuait.

Quelques légers coups sur la vitre le firent se tourner vers la fenêtre. Il avait recommencé à neiger. Il regardait d'un air endormi les flocons, argentés et sombres, tomber obliquement à la lumière de la lampe. Le moment était venu pour lui de se lancer dans son voyage vers l’ouest. Oui, les journaux avaient raison : la neige était générale partout en Irlande. Il tombait sur chaque partie de la sombre plaine centrale, sur les collines sans arbres, tombant doucement sur la tourbière d'Allen et, plus à l'ouest, tombant doucement dans les vagues sombres et mutinées du Shannon. Il tombait également sur chaque partie du cimetière solitaire de la colline où reposait Michael Furey. Il gisait en épaisse couche sur les croix tordues et les pierres tombales, sur les lances de la petite porte, sur les épines stériles. Son âme s'évanouit lentement lorsqu'il entendit la neige tomber faiblement à travers l'univers et tomber faiblement, comme la descente de leur fin dernière, sur tous les vivants et les morts.
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