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Dans un pays essentiellement boudhiste et profondément religieux, la religion était interdite, interdits étaient les sentiments et les émotions. Cueillir, alors qu’on était affamé, les fruits qui poussaient à foison était interdit. Se déplacer sans autorisation était interdit de même que porter des vêtements d’une autre couleur que le noir. Faire son autocritique et dénoncer les autres étaient de règle. Il s’agissait de détruire la propriété individuelle sur le plan matériel et sur le plan mental : penser en terme de « moi » était banni. Beaucoup de ceux qu’ils n’ont pas éliminés ont péri de famine et de fatigue extrême si bien que l’armée vietnamienne a pu, au bout de quatre années, pénétrer sans mal dans ce pays dévasté par son propre régime qui continuait de faire couler le sang ; les mines demeurant enfouies dans les chemins et les champs, explosant au passage des fuyards au pied des paysans, les tuaient, les amputaient. Ceux qui sont parvenus à fuir se sont entassés dans des camps de réfugiés en Thaïlande, aux abords des frontières, dans l’attente d’un pays d’accueil faute de quoi ils étaient renvoyés dans le pays dont ils avaient voulu s’échapper. Cette histoire n’est pas un récit mais un roman qui fait découvrir, loin du confort occidental, infiltré par endroits de misère et de violences, des êtres humains, pareils à vous, tentant de revivre sur leur terre natale ou à l’étranger, apportant dans leur pays d’accueil un peu de leur force, de leur expérience, cachant derrière leur sourire de terribles souvenirs, espérant que la société où ils vivent et où vivent leurs enfants ne couve pas quelque cruelle menace, nous aidant à distinguer ce qui est simplement difficile de ce qui recèle des étincelles de barbarie, nous montrant, avec le film de Roshane Saidnatar, que « l’important c’est de rester vivant. »
La memoire et l'oubli livrent en eux une bataille sans vainqueur possible : si l'oubli permet d'évacuer un peu de la douleur, il arrache à la personne de larges pans de vie et l'enferme dans la solitude. Quant à la memoire, elle rend l'existence insupportable.