Jaroslav Melnik a répondu à nos questions lors de son passage en France !
Je m’étais déjà rendu à plusieurs reprises à l’abattoir et j’étais agréablement surpris chaque fois de l’atmosphère professionnelle et du silence qui y régnaient. Pas de sentiments, pas de pensées, une concentration totale sur les opérations. Chacun connaissait son travail et ne pensait qu’à le faire au mieux. C’étaient des hommes simples et ils restaient simples : aurait-il fallu que ce soient des philosophes ? Ils exécutaient le travail pour lequel ils étaient payés et ne pensaient à rien d’autre.
Disons qu’ils ne pensaient pas au fait que les animaux qu’ils abattaient et découpaient ne se distinguaient en rien d’eux extérieurement. Parce qu’il suffisait de qualifier ces animaux d’“êtres humains” (à cause de leur aspect extérieur) pour que le monde entier s’écroule.
Dans ce cas, la civilisation apparaîtrait comme quelque chose de monstrueux, d’inhumain, de bestial. Et tous nos congénères pourraient être qualifiés de… “cannibales”. Voilà à quoi menaient les tours de passe-passe du langage !
Un animal d’apparence humaine, ce n’est pas encore un homme. La définition d’un homme se construit moins que tout sur une base corporelle. Un homme est avant tout un citoyen du Reich, un être raisonnable et éduqué, possédant un bien, exerçant une profession, ayant une famille. Un homme, c’est celui qui possède un statut d’homme. Dans les temps préhistoriques prévalaient d’autres concepts selon lesquels “l’homme” se définissait non pas par ses qualités internes mais uniquement par ses caractéristiques corporelles.
Si nous nous considérons comme des êtres libres, nous ne pouvons pas rejeter l'idée que l'impossible existe.
Nous avons plaisir à être protégés : tous sans exception nous aimons cette puissance, comme une femme la virilité de son amant. Et si quelqu'un risquait un mot hardi : «Réveillez-vous ! Vous vous complaisez dans votre servitude ! Vous êtes incapables de faire un pas sans être commandés ! N'avez-vous donc aucune estime pour vous-mêmes ? » Oh! On taillerait l'impertinent en pièces pour le punir de son insolence. Car nous avons suffisamment d'amour propre pour ne pas souffrir un tel manque de respect à notre égard. Et alors, nous prendrons le parti de nos créateurs tout-puissants, car, selon eux, nous sommes dignes de considération et nous incarnons la plus haute des vertus : nous sommes des citoyens honnêtes. Nous ne nous laisserons pas humilier de la sorte. Et nous n'avons aucune raison de nous remettre en question. C'est plutôt toi, insolent, que nous allons réduire en miettes !
Seulement, voilà : peu importe l'opinion de la majorité, la vérité et l'esprit sont indestructibles. Ce n'est pas parce que nous ne trouvons pas d'alternative à notre vie actuelle que cette alternative n'existe pas.
J’aime ces nouvelles sensations, je me sens différent. C’est comme si je m’étais réveillé. Je n’ai pas envie de sombrer à nouveau dans le sommeil. Cependant, je ne sais pas comment vivre avec mon nouvel état. J’ai chaque jour plus envie de me servir de mes yeux : c’est tellement plus pratique, plus simple, incomparable avec l’espace proche ! Mais alors, qui suis-je au sein de cette mégapole ? Au sein de l’Union gouvernementale ? Quelle est ma place ? Je ne la trouve pas.
Nous emmenons froidement l'animal dans un coin et lui tranchons la gorge alors qu'il crie dans les souffrances (il crie toujours, mais nous sommes devenus sourds!) En quoi nous distinguons-nous alors des nazis qui ne prêtaient pas attention aux souffrances 'humaines". Peu importe qui souffre, qui ressent la souffrance et l'horreur? L'essentiel est celui qui ressent tout ça.
- Et si le sens de la vie de ces gens n'était ni la beauté ni la vérité ?
- Alors leurs vies ne valent rien. Ils n'ont pas le droit de vivre, rétorqua Oks.
- comment vous pouvez en être si sûr ?
Bon dieu, j'étais intimidé. Devant un animal. je me sentais petit, presque en son pouvoir. Je vis du désir dans ses yeux et j'en fus sérieusement effrayé. J'avais eu connaissance de cas isolé de zoophilie, mais il fallait abandonner toute dignité humaine pour se permettre une liaison intime avec un animal. J'avais déjà éprouvé des sentiments chaleureux envers Macha, mais l'idée d'une fusion corporelle ne m'était jamais venue à l'esprit.
Je fus soudain envahi d'une telle vague de dégoût que je bondis sur mes pieds, ce qui lui fit très peur.
Disons qu'ils ne pensaient pas au fait que les animaux qu'ils abattaient et decoupaient ne se distinguaient en rien d'eux extérieurement.
Parce qu'il suffisait de qualifier ces animaux d''êtres humains" (à cause de leur aspect extérieur) pour que le monde entier s'écroule. Dans ce cas, la civilisation apparaîtrait comme quelque chose de monstrueux,d'inhumain,de bestial. Et tous nos congénères pourraient être qualifiés de... "cannibales". Voilà à quoi menaient les tours de passe passe du langage !
Cependant, à la fin du IIe millénaire apparaissent des mouvements complètement profanes se posant pour but la défense du monde animal et même du monde végétal. Certains d'entre eux, comme la société de protection des chats ou la société de protection des chiens errants, ne semblaient pas tout à fait sérieux;d'autres, comme le mouvement des "Verts" luttant pour ka préservation du vivant et surtout du mobde vegetal de la planète, devenaient même des partis politiques considérés.
Gabr longeait le boulevard Central, concentré sur le froissement des pieds et les voix des passants. Soudain, se surprenant lui-même, il arracha les emplâtres de ses paupières. Une foule de fantômes fourmillait autour de lui : emmitouflés dans des hardes indescriptibles, recroquevillés sur eux-mêmes, ils avançaient lentement, comme ivres, titubant d’un côté ou de l’autre. Gabr était pétrifié, abasourdi : à un mètre de lui, les fantômes changeaient de trajectoire et poursuivaient leur itinéraire occulte. Leurs visages tournés vers le sol dévoilaient une préoccupation profonde. Ces chimères émergeaient à un bout de boulevard et se perdaient à l’autre. L’extrémité du boulevard paraissait si lointaine que Gabr se sentit soudain terriblement seul. Il avala précipitamment un comprimé de bicefrasole et attendit, immobile : petit à petit, son esprit s’enlisa dans une quiétude obscure, le monde rétrécit jusqu’aux dimensions de l’espace proche. Finalement, il retrouva son état normal et avança, les yeux couverts de brouillard, concentré sur les mouvements des autres passants.