[RARE] Jaufre RUDEL Une Vie, une uvre : l'amour lointain (France Culture, 1998)
Émission "Une Vie, une uvre", par Ghislaine David, diffusée le 17 septembre 1998 sur France Culture. Invités : Jorn Gruber, Guy Robert et Gérard Zuchetto.
Lorsque les jours sont longs en mai
Lorsque les jours sont longs en mai,
J’aime un doux chant d’oiseau lointain
Et quand je m’en suis éloigné,
Me rappelle un amour lointain.
Je vais courbé par le désir
Tant que chants ni fleurs d’aubépine
Ne me valent l’hiver gelé.
Bien crois-je le Seigneur pour vrai
Par qui verrai l’amour lointain,
Mais pour un bien qui m’en échoit,
J’ai deux maux, tant il m’est lointain.
Ah ! que ne suis-je pèlerin
Et que ma cape et mon bâton
Par ses beaux yeux soient contemplés !
La joie quand lui demanderais
Au nom de Dieu l’abri lointain !
Car, s’il lui plait, je logerais
Près d’elle, moi qui suis lointain.
Quels doux propos on entendra
Quand l’ami lointain sera proche
Et quels beaux dits s’échangeront !
Triste et joyeux je reviendrais
Si je la vois, l’amour lointain.
Mais ne sais quand je la verrai
Nos deux pays sont si lointains !
Combien de passage et chemins
Et pour cela ne suis devin
Mais que tout soit comme à Dieu plaît !
Jamais d’amour ne jouirais
Sinon de cet amour lointain
Plus noble ou meilleure ne sais
En nul pays proche ou lointain
Tant est précieuse et vraie et sûre
Que là-bas chez les Sarrazins
Pour elle irais m’emprisonner.
Dieu fit tout ce qui va et vient
Et forma cet amour lointain
Qu’il me donne pouvoir au cœur
De bientôt voir l’amour lointain
Vraiment et en un lieu propice
Tant que la chambre et le jardin
Me semblent toujours un palais.
Il dit vrai qui me dit avide
Et désireux d’amour lointain
Nulle autre joie autant me plait
Qu’à jouir de l’amour lointain
Mais ce que je veux m’est dénié
Ce sort me jeta mon parrain
D’aimer mais n’être point aimé.
Mais ce que je veux m’est dénié
Maudit parrain qui m’a jeté
Ce sort de n’être point aimé
Ma volonté s’en va vers elle
Ma volonté s’en va vers elle,
de nuit et quand le jour se lève
pour seul secours j’ai désir d’elle.
De dezir mos cors no fina
Vas selha ren qu'ieu pus am ;
E cre que volers m'enguana
Si cobezeza la-m tol ;
Que pus es ponhens qu'espina
La dolors que ab joi sana ;
Don ja non vuelh qu'om m'en planha.
(Mon désir sans fin n'aspire
Qu'à elle seule entre toutes.
Mon vouloir, je crois, m'abuse,
Si me la prend Convoitise :
Car plus poignante est qu'épine
Douleur que joie guérira,
Mais ne veux pas qu'on m'en plaigne)
Amors de terra lonhdana,
Per vos totz lo cors mi dol ;
E no'n puesc trobar mezina
Si non au vostre reclam,
Ab atraich d'amor doussana
Dinz vergier o sotz cortina
Ab dezirada companha.
(Amour de terre lointaine,
Pour vous j'ai le cœur dolent,
Et n'y puis trouver remède
Si je n'entends votre appel,
Par attrait de douce union,
En verger ou sous courtine,
Avec l'amie désirée.)