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Citation de mimo26


L’enlèvement

C’est un lundi matin, un jour d’école ordinaire. En ce 10 juin 1991, je me suis réveillée de bonne heure. J’attends que ma mère vienne m’embrasser dans ma chambre avant de se rendre au travail. La nuit dernière, j’ai insisté pour qu’elle passe me dire au revoir.

Allongée dans mon lit, j’entends la porte d’entrée se refermer. Elle est partie. Elle a oublié. Je suppose que je pourrai toujours lui faire un bisou et me blottir dans ses bras ce soir, quand elle reviendra à la maison… Mais je lui rappellerai que je l’ai attendue en vain.

Je reste couchée un moment jusqu’à ce que mon réveil m’informe qu’il est temps de me lever. Encore cinq minutes, puis je m’extirpe de sous ma couette. Je remarque alors que la bague que j’ai achetée la veille à la foire a disparu. Zut ! Moi qui voulais absolument la porter aujourd’hui ! Je fouille mon lit, sans succès. Si je continue à perdre du temps, je vais être en retard à l’arrêt de bus et Carl, mon beau-père, risque de se mettre en colère. Sans compter que je serai obligée de lui demander de me déposer à l’école en voiture. Déjà qu’il me trouve désordonnée, inutile de lui donner une excuse supplémentaire pour ne pas m’aimer. Parfois, j’ai l’impression qu’il n’attend qu’un prétexte pour se débarrasser de moi.

J’abandonne mes recherches et décide de me rabattre sur la bague en argent que maman m’a offerte, il y a quatre ans, à l’occasion de mon septième anniversaire, avant sa rencontre avec Carl. Depuis cette époque, mon doigt a beaucoup grossi, et je ne la porte pas souvent. Elle est petite et délicate, et sa monture en forme de papillon est assortie à la tache de naissance qui s’étale sur mon avant-bras droit presque jusqu’à l’épaule. Elle s’orne au centre d’un minuscule diamant. Malheureusement, j’ai beau essayer de la glisser à son emplacement habituel, elle me serre tellement que je suis forcée de la mettre à mon auriculaire. Le résultat est nettement plus satisfaisant. Je décide de porter un pantalon rose moulant et mon tee-shirt préféré avec un motif de chat et, en raison du froid qui semble sévir dehors, j’enfile mon coupe-vent fuchsia. Puis je traverse le couloir pour jeter un coup d’œil dans la chambre de ma petite sœur. La veille au soir, pendant que ma mère y pliait du linge et que je l’aidais à ma façon, allongée sur le lit, j’en ai profité pour tenter de la convaincre de m’acheter un chien ; je suppose que j’ai dû l’agacer parce qu’elle n’arrêtait pas de répéter « non » encore et encore. Mais j’en ai tellement envie ! Chaque fois que je le peux, je descends jusqu’au bas de la rue voir les chiots des voisins et je les caresse à travers le grillage. Je ne comprends pas pourquoi on me refuse ce droit. L’autre jour en classe, pour répondre au sujet de ma rédaction : « Si j’avais un souhait », j’ai évoqué le chien de mes rêves. Je l’appellerais Buddy et il me suivrait partout ; je lui enseignerais des tours et ce serait moi sa préférée. J’espère de tout mon cœur que maman m’autorisera un jour à avoir un chien.

Hier soir, j’ai appris une acrobatie à ma sœur âgée de dix-huit mois. Je lui ai montré comment sauter dans son berceau. Elle a ri aux éclats. J’adore la faire rire. Je crois qu’elle n’est pas loin de pouvoir descendre de son lit comme une grande. Je passe ma tête dans l’entrebâillement de la porte ; elle dort toujours. Je m’éloigne sur la pointe des pieds.

Me sentant un peu nauséeuse, j’envisage l’espace d’un instant d’annoncer à Carl que je suis malade et donc incapable d’aller à l’école, mais je change aussitôt d’avis. Je n’ai pas envie de déclencher une dispute. La vérité, c’est que je ne tiens pas à rester avec lui toute la journée à la maison. La plupart du temps, j’attends avec impatience de partir en classe parce que cela m’épargne ses critiques. Peut-être qu’en mangeant quelque chose j’aurai moins mal au ventre. Une fois dans la cuisine, j’opte pour du gruau instantané goût pêche et crème. L’horloge du micro-ondes indique six heures trente. Si je ne veux pas rater l’autobus, il ne faut pas que je tarde à me mettre en route. J’avale en hâte mes flocons d’avoine. Heureusement que Carl ne me voit pas m’empiffrer ainsi ! En règle générale, il estime que je me tiens très mal à table et chaque occasion lui est bonne pour me faire connaître sa façon de penser.

Un jour où il n’appréciait pas la manière dont j’engloutissais mon dîner, il m’a fait asseoir devant la glace de la salle de bains pour m’obliger à me regarder manger. Je crois que je n’infligerai jamais une telle humiliation à mon enfant ! Je me confectionne un sandwich au beurre de cacahuète et à la confiture pour le déjeuner, ajoute une canette de jus de pomme à mon pique-nique, avant d’aller vérifier une nouvelle fois si Shayna est réveillée. Elle dort toujours et je dois partir sans lui dire au revoir. Je n’ai pas encore croisé Carl. Il doit se trouver dehors, puisqu’il n’est pas devant la télévision comme à son habitude. J’aperçois mon chat, Monkey, couché sur le ponton. Ma grand-mère Ninny m’en a fait cadeau avant que nous déménagions au lac Tahoe. Monkey est de race manx, ce qui veut dire qu’il n’a pas de queue. Au départ, je voulais le baptiser Saphir à cause de ses yeux bleus, mais Carl a jugé ce nom stupide. Et il s’est mis à le surnommer tout simplement Monkey, petit singe. Dans un premier temps, ça m’a rendue folle et, dès que j’en avais l’occasion, je l’appelais Saphir. Aujourd’hui qu’il est adulte et que Monkey lui correspond mieux, je me suis rangée à l’avis de Carl. C’est drôle de voir à quel point on peut s’habituer à certaines choses. La plupart du temps, Monkey vit dans le jardin, mais je le laisse dormir avec moi la nuit. Depuis que le chat de ma mère, Bridget, a été dévoré par un animal sauvage – peu après notre installation à Tahoe –, je n’aime pas le savoir loin de la maison, le soir tombé. La mort de Bridget a été atroce ; après l’avoir cherché en vain pendant plusieurs jours, j’ai finalement découvert ses restes, rien de plus qu’un tas de fourrure. C’était réellement très triste. Je suis sûre que Monkey a été séparé de sa maman à un jeune âge, car il aime téter ma couverture polaire. Je pense qu’il me prend pour sa mère.

Je m’engage sur le ponton et lui offre une caresse en guise de bonjour. Il miaule comme un affamé, alors je lui donne une grosse cuillère de sa pâtée. J’ai également apporté une carotte pour Bugsy, le lapin nain noir et blanc de Carl, qui d’ailleurs n’est pas si petit que ça. Ce que j’aime le plus chez Bugsy, c’est son amour pour les pops glacés, goût raisin. Je suis chargée de nettoyer son clapier, travail que je n’aime pas particulièrement. Il fait beaucoup de crottes. J’ai lu dans un livre que ces mammifères mangent un excrément par nuit. Les animaux commettent parfois des actes qui nous paraissent insensés, à nous, les humains, mais je pense qu’ils doivent avoir une bonne raison pour ça. Bien que je ne sache pas laquelle.

Je franchis la porte d’entrée et descends la longue allée qui mène aux escaliers. Notre maison de Tahoe me fait penser à un chalet. Elle est située au pied d’une colline. Nous y habitons depuis le mois de septembre de l’année dernière. Nous vivions auparavant dans le comté d’Orange. Quand notre appartement a été cambriolé, maman et Carl ont estimé plus prudent de déménager à Tahoe. Une ville beaucoup plus petite.

J’ai grandi à Anaheim, en Californie. J’ai toujours pensé que c’était Carl qui avait convaincu ma mère, lorsque nous nous sommes installées avec lui, qu’il était temps que j’aille à l’école à pied toute seule. Je ne crois pas que l’idée ait beaucoup séduit maman, mais elle n’a pas eu le choix. Obligée de partir de bonne heure pour son travail, elle ne pouvait pas me conduire en voiture le matin. Et Carl n’étant pas toujours disponible, j’ai été forcée d’accepter cette solution. Ils m’ont confié une clef de l’appartement et c’est ainsi que j’ai commencé à me rendre en classe par mes propres moyens.

Un jour, alors que je rentrais de l’école élémentaire Lampson où j’étais en CM1, une bande de garçons entassés à bord d’une voiture se sont mis à crier et à me faire signe d’approcher. Je me suis enfuie en courant et je me suis cachée dans un buisson jusqu’à ce que le véhicule ait disparu, puis j’ai couru à la maison à toutes jambes avant de verrouiller la porte derrière moi. Cet incident m’a tellement effrayée que par la suite j’ai évité de traîner en chemin. Parfois, maman ou Carl venaient me chercher à la sortie des cours, ce que je vivais comme une fête. Tahoe ne ressemble en rien à Anaheim. Ici, je peux faire de la bicyclette n’importe où et je n’ai pas peur.

Certains jours, une chienne du quartier, baptisée Ninja, m’accompagne jusqu’au sommet de la colline. Comme j’adorerais avoir un chien à moi, un qui m’escorterait quotidiennement sur mon trajet et m’accueillerait à mon retour. Ninja a une préférence pour Carl. C’est lui, généralement, qu’elle attend et qu’elle suit au cours de ses balades du week-end.

Ce matin, j’aimerais beaucoup que Ninja fasse un bout de chemin avec moi, mais aucun signe d’elle dans les environs. Avant de quitter la maison, je crie à Carl que je m’en vais. Pas de réponse. Je ne l’aperçois nulle part. Sa camionnette n’étant plus dans le garage, j’en déduis qu’il doit bricoler dessus. J’entame l’ascension de la butte par le flanc droit, et une fois arrivée dans le virage, je change de côté. Il me reste encore une semaine d’école avant le début des vacances d’été. J’ai prévu de travailler dans un ranch-hôtel avec mon amie de classe Shawnee. Elle adore les chevaux et parfois elle m’en dessine quelques-uns. J’aime son coup de crayon. Elle m’a invitée à une randonnée équestre : j’ai trouvé ça formidable. Shawnee est une excellente cavalière. Elle a vécu avec sa mère dans un ranch, mais elle habite désormais à un kilomètre et demi de chez moi, dans un appartement, avec sa grand-mère Millie. Je suis très excitée par notre projet. J’aimerais monter aussi bien qu’elle un
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