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Citation de Cazaubon78


Le docteur Levasseur était un petit bout de femme d'une soixantaine d'années, d'un abord agréable. Elle pratiquait l'hypnose ericksonienne(1), du nom d'un psychiâtre américain dyslexique, daltonien et handicapé qui avait développé sa propre méthode. Ici, pas d'injonction de la part du thérapeute..Seulement un accompagnement vers un état de conscience modifié permettant d'accéder à l'inconscient.
Chancel fut conduit dans une pièce sombre. Quant à la journaliste, elle fut priée de patienter dans la salle d'attente.
- Asseyez-vous là, commissaire, commença le docteur en lui montrant un large fauteuil.
Chancel s'exécuta. Elle s'assit en face de lui.
- Détendez-vous, à présent. Respirez profondément.
Le commissaire sourit. Il avait l'impression d'être au dojo. Cependant la position était moins douloureuse..
- Sentez comme vos bras sont lourds. Relâchez-les.
Il suivit les instructions.
- Voilà. Vos muscles sont plus légers. A présent, efforcez-vous de penser à un événement positif. Avez-vous des enfants ?
- Une petite fille.
- Peut-être l'un de ses anniversaires, un réveillon, une communion...
Chancel ferma les yeux. Il revit Bonnie, bébé, dans les bras de Marie, juste après l'accouchement. Image de plénitude, d'un bonheur pur. Son visage se décrispa. Il semblait parfaitement serein.
- Très bien. Maintenant, observez-vous. Ou plutôt, regardez à l'intérieur de vous. Pourriez-vous me dire quelles sont vos qualités principales ?
La question le surprit. Puis, se prêtant au jeu, il répondit :
- Je dirais le sérieux. Mais est-ce une qualité ?
- Incontestablement.
- Et aussi la ténacité. Je ne renonce jamais.
- Même quand les difficultés s'accumulent ?
- Surtout quand les difficultés s'accumulent. Plus c'est dur, plus je m'accroche.
- Voilà une manière d'appréhender les choses qui doit être utile dans votre métier. Refermez les yeux.
Le commissaire obéit. Le docteur Levasseur avait toutes les cartes en main. Ambrosini lui avait parlé. Elle savait tout sur l'affaire et sur la relation que son patient avait eue avec la victime. Mais il lui fallait avancer à pas feutrés, sans dévoiler ses atouts.
- Songez maintenant à un être cher, vivant ou disparu, aux moments que vous avez partagés. Bons ou mauvais.
Les pensées de Chancel se dirigèrent vers le docteur Ladoucette. Il se remémora leurs balades à Paris, les cafés, les musées, le cinéma... Souvenirs agréables, tempérés toutefois par une note dissonante. Alors qu'ils filaient le patfait amour, Agnès était souvent la proie d'accès de mélancolie. Il avait cherché à en connaître la cause. Mais elle ne lui avait fait aucune confidence.
Le commissaire glissait peu à peu dans un état second qui n'était pas sans rappeler les effets du zazen.
- Voyez-vous cette personne ?
Oui, répondit-il d'une voix cotonneuse.
- Pourriez-vous la décrire ?
- Elle est blonde, les yeux bleus, les cheveux tirés en arrière. Elle porte une saharienne.
- Bien. Ne la quittez pas des yeux. Efforcez-vous de la suivre.
- Agnès le prenait par la main, mutine. Ils montaient l'escalier qui menait à leur petit appartement. Avec empressement. Ils avaient hâte de se retrouver en tête à tête. Sitôt rentrés, ils se déshabillaient, jetaient leurs vêtements à même le sol et filaient dans la chambre.
Ils s'aimaient avec fougue, à plusieurs reprises. Leurs corps reposaient ensuite côte à côte dans une douce harmonie.
Ambrosini avait décrit Agnès avec précision. Aussi le docteur Levasseur comprit-il que la femme qu'évoquait le commissaire était bien celle que son travail devait cibler.
Une fois le déclic produit, il convenait parfois d'encourager le patient en l'encourageant à poursuivre, si possible à voix haute, son voyage intérieur. Mais Chancel était un bon client : il continua sur sa lancée, dans une sorte de transe, anticipant les demandes de la thérapeute.
- Nous sommes dans cette petite chambre, je la prends dans mes bras. Dieu que j'aime cette fille ! Elle me demande de la satisfaire à nouveau. Je n'ai aucune peine à exaucer son souhait. Ça dure toute la nuit. Nous sommes en nage, repus. Nos deux corps n'en forment plus qu'un. Elle s'endort sur mon épaule.. Je m'assoupis à mon tour..Plus tard, au petit matin, je l'entends gémir . "Gérard, pardonne-moi ! Je ne voulais pas.. Si tu savais à quel point j'ai honte..Je ne m'en remettrai jamais. Oh, mon Dieu, qu'ai-je fait ? Je t'ai tué une seconde fois.."
Il régnait un silence pesant dans l'habitacle de la Mégane. Chancel avait l'impression d'être tombé dans un piège. Jamais, au grand jamais, il n'avait dévoilé autant de détails sur sa vie intime. L'air de rien, et tout en douceur, le docteur Levasseur l'avait foutu à poil.
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