Citations de Jean-Baptiste Rudelle (29)
Le problème n’a pas été moral, mais pratique, continua Lucie. Les résultats des expériences se sont avérés catastrophiques. Non sans effroi, les chercheurs ont constaté que les enfants élevés sans contacts humains développaient des traumatismes psychologiques graves. En grandissant, la plupart se sont révélés psychotiques et ont dû passer le reste de leur vie sous camisole chimique. Pour des raisons éthiques évidentes, ces expériences désastreuses ont été bannies avant qu’elles ne fassent davantage de dégâts.
- J’avoue que j’aime bien l’idée que la machine ne pourra jamais complètement remplacer l’humain, souligna Jenna.
la doyenne les avait quittés, et, avec elle, c’était une partie de la mission Columbus qui disparaissait. Ils avaient tous naïvement pensé que leur vraie vie allait débuter en posant le pied sur le sable de Kanuta, mais c’était un leurre. Jusque là, cette planète n’avait été que le prolongement du vaisseau, une pièce en plus qu’ils avaient découverte un matin en poussant une porte dérobée. Leur nouvelle vie venait seulement de débuter, avec le glissement de terrain, les problèmes alimentaires et, maintenant, l’irruption de la mort.
Comme la plupart des passagers qui quittaient la Terre pour la première fois, elle (Mélissa) avait été prise d’un violent mal de l’espace qui l’avait indisposée pendant tout le trajet. De quoi lui gâcher complètement son stage en apesanteur. Lucie l’avait alors réconfortée d’un café épicé et de quelques paroles chaleureuses. Elle avait souvent entendu les touristes se plaindre de l’inconfort du voyage sur la Lune, au regard du prix exorbitant dont ils devaient s’acquitter. Mais, compte tenu des énormes contraintes de sécurité, il était difficile pour la compagnie de faire beaucoup mieux.
Qu’attendait-elle finalement de cette Terre promise ? Entre le vaisseau et Kanuta, qu’y avait-il de si différent ? Pour Yuko, l’aventure avait tenu du miracle. Certes, le programme avait envisagé la faible possibilité qu’une Terrienne foule le sol de la planète, et Yuko pouvait mourir avec la satisfaction d’avoir vécu l’improbable. Avoir partagé l’émotion des premiers pas sur le sable ocre, avec un vrai bruit de crissements sous les pieds et la poussière qui se collait sur leurs vêtements, celle de la première nuit si froide qu’ils en avaient tous longtemps conservé le souvenir frissonnant, tous ces moments, Yuko les avait reçus en récompense de l’abnégation de leurs glorieuses aînées disparues dans la nuit de l’espace interstellaire.
Pour remédier au syndrome de l’enfermement de l’équipage, il n’était pas surprenant que l’Agence ait investi dans le nec plus ultra de l’immersion sensorielle. Voilà qui était plutôt prometteur. Elle se voyait déjà se livrer à de furieuses sessions de ski de descente. Ce sport était l’exemple favori de Bocquet lorsqu’il voulait plaider les bienfaits de la modernité. Il lui avait expliqué qu’en 2160 les écologistes avaient réussi à faire fermer les dernières stations de haute altitude. Il faut dire que cela faisait déjà des décennies qu’elles ne fonctionnaient plus que grâce à de la neige artificielle, et maintenir ces coûteuses installations était devenu une totale aberration.
On a chacun cette capacité intuitive de reconnaître que quelque chose est intrinsèquement vrai, même quand on ne sait pas le démontrer.
Les humains se bercent d'illusions en pensant qu'ils ont toujours le contrôle de leurs inventions.
Pour vivre l’expérience ultra-réaliste du Full Life, Lucie enfila une combinaison spéciale munie de senseurs qui couvraient ses mains et tous les points névralgiques de son corps. Cette seconde peau lui faisait ressentir n’importe quelle texture, ainsi que le froid et le chaud. Elle pouvait réellement serrer la main de son interlocuteur sans faire la différence avec une vraie poignée de main. Ce qui parachevait la sensation de réalité du Full Life, c’était le puissant générateur d’odeurs en prise directe avec son cerveau. Pour se mouvoir dans l’espace, le sol de la pièce était équipé d’un tapis malléable multicouche. En déformant en temps réel le terrain sous ses pieds, Lucie pouvait marcher, courir ou sauter en toute liberté sans s’apercevoir qu’elle demeurait tout le temps dans le carré de trois mètres de côté que formait la cabine.
Le genre est en effet de plus en plus perçu comme une construction sociale qui enferme dans des stéréotypes parfois réducteurs. Les individus revendiquent de pouvoir choisir librement leur identité de genre...
On peut néanmoins compter sur l'industrie d'armement pour produire à l'avenir de petits gadgets létaux toujours plus vicieux. La limite viendra de l'opinion publique, certes manipulable, mais qui aspire profondément à la paix. D'ailleurs, dans tous les pays développés, la tolérance pour les morts au combat n'est plus de mise. En investissant massivement dans des drones de guerre, les dirigeants américains ont été les premiers à assigner à la technologie l'objectif du zéro mort. Contrairement à ce qui a été parfois suggéré, ce n'est pas pour autant que cette robotisation du champ de bataille permettra de refaire la guerre à outrance. La baisse régulière de victimes de guerre dans le monde suggère, au contraire, que le conflit armé à l'ancienne est une tragédie en voie de disparition. On peut remercier les arsenaux nucléaires qui sont, de manière paradoxale, une invention extraordinairement efficace contre la guerre(1).
(1) Certains spécialistes des relations internationales vont d'ailleurs jusqu'à prêcher en faveur de la prolifération nucléaire comme moyen de promouvoir la paix, notamment Kenneth Waltz. Voir son article : «Why Nuclear Proliferation May Be Good» dans l'ouvrage collectif de Richard Betts : Conflict After the Cold War.
[NB : la note bibliographique est de l'auteur]
Je dois avouer que, spécialement dans notre monde séculier, où on ne peut plus attendre grand-chose de Dieu, j'aurai aimé que la technologie soit la réponse à tous nos problèmes. Le fait qu'elle bute sur certaines limites est assez perturbant.
[NB : extrait d'une "réflexion" de l'auteur suite au chapitre 11 du livre]
Lucie reconnut l'image familière d'une couveuse automatique dont les clips publicitaires faisaient, de manière régulière, une promotion aggressive. Depuis longtemps, les utérus artificiels étaient un domaine bien maîtrisé et visiblement très lucratif. Bien que n'étant pas vraiment dans la cible, elle s'était fait démarcher plusieurs fois par des cliniques privées spécialisées qui proposaient de gérer l'ensemble du processus d'enfantement depuis le prélèvement de l'ADN jusqu'à la livraison du bébé à terme. Elle avait tout le temps d'y penser. D'ailleurs, sa propre mère avait attendu l'âge de 52 ans pour assouvir son désir d'enfant. Lorsqu'elle était au lycée, Lucie se rappelait cette horrible pimbêche qui s'était ventée que sa mère l'avait portée de manière naturelle dans son ventre à 63 ans. La petite peste avait certainement exagéré la chose pour se rendre intéressante, d'autant qu'avec les couveuses, justement, il était bien plus simple de s'affranchir entièrement de la grossesse.
On peut apprendre à un ordinateur à dire "Je t'aime", mais on ne peut pas lui apprendre à aimer.
Albert Jacquard, généticien
En passant une porte transparente, Ana pénétra dans la ferme aéroponique où une myriade de robots autonomes cultivaient les aliments frais pour l'équipage. Elle aimait bien observer leur chorégraphie sophistiquée tandis que, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils bichonnaient les plantes avec une patience infinie. Les machines avaient décidément un charme que les humains n'auraient jamais.
Quoi qu'il arrive, on finira à terme par atteindre la limite des 4°C, avec ses effets sur l'économie. (...) L'effet de serre ayant accaparé l'essentiel du capital chaleur disponible pour l'humanité, si on veut maintenir une température acceptable, cela limitera de facto le déploiement de la fusion nucléaire. Cela veut dire que l'humanité devra s'habituer à une certaine sobriété énergétique.
Bon, te connaissant, je ne vais même pas essayer de te faire changer d'avis. Le jour où tu accepteras de suivre un conseil malgré le fait qu'il émane d'un vieux con comme moi, tu auras atteint la maturité.
La manière la plus rapide de mettre fin à la guerre est de la perdre.
Georges Orwell, écrivain
Qu'elles soient infectieuses ou génétiques, presque toutes les pathologies traditionnelles avaient heureusement été éradiquées par la médecine moderne. Comme la plupart des gens, Lucie portait en permanence un détecteur sous-cutané et un analyseur d'haleine, qui permettaient de prévenir très en amont tous les pépins de santé avant qu'ils ne deviennent sérieux.
...la municipalité parisienne ira vers une extension toujours plus large des zones piétonnes. Sachant qu'elle transporte rarement plus d'un seul passager, ma chère bagnole occupe en effet un espace absurdement grand sur l'asphalte par rapport au service rendu.
Si la concentration de métal dans les produits à recycler n'est pas suffisante, il n'est pas pertinent de recycler, car cela exige une dépense d'énergie supérieure à celle nécessaire pour extraire directement le métal du sol.