Il y a un temps pour tout. Un temps pour expérimenter. Un temps pour tirer les leçons de l’expérience. Et un temps pour transmettre. Mois après mois, année après année, j’ai consigné et synthétisé le fruit de milliers de consultations avec l’idée de partager un jour ce fruit avec celles et ceux qui choisiraient d’emprunter le chemin sur lequel je me suis engagé il y a bien longtemps.
Voici donc une première somme de réflexions. Les pages qui suivent peuvent être lues comme un journal clinique, un manuel de psychothérapie, un carnet de notes, une trousse à outils à l’usage des thérapeutes qui voudraient s’en inspirer, et aussi comme une poignée de mises au point destinées aux patients et futurs patients.
En tant qu’hypnothérapeute, j’ai déjà eu l’occasion de dire dans un ouvrage précédent combien me semble vaine - et dangereuse - une pratique thérapeutique qui ne se fonderait pas sur les leçons tirées de l’Histoire de la thérapie d’une part, et sur une thérapie personnelle suffisamment approfondie d’autre part. Ce sont là à mon sens les garants incontournables d’un socle éthique préservant les intérêts du patient. J’ai le regret de dire que ces fondamentaux n’existent quasiment pas à l’heure actuelle dans l’univers de la psychothérapie, que la carence vienne des formateurs ou de l’absence d’un cadre législatif cohérent.
En tant que psychanalyste, je partage pleinement le sentiment de Sigmund Freud qui disait qu’avec le métier d’éducateur et celui de médecin, la profession de psychanalyste est un métier impossible. Encore plus que tout autre dans l’univers de la thérapie, celui-ci impose d’une façon indiscutable d’avoir parcouru à titre personnel ce long chemin qu’est l’analyse avant de prétendre accompagner un analysant qui choisirait de s’engager sur ce même chemin. Sans ce préalable, l’intégrité des personnes tentées par l’aventure analytique ne saurait être préservée.
Si cet ouvrage peut allumer ici et là quelques lumières permettant de faire s’interroger des praticiens, des patients, ou des lecteurs curieux, j’aurai atteint mon but.
On me dit souvent que j’écris beaucoup, on me demande d’où vient toute cette matière que je partage ici et là. Elle est issue de quatre grandes sources : mon quotidien au cabinet avec mes patients et analysants, l'accompagnement de thérapeutes en supervision, les échanges avec les internautes et la correspondance avec certains d'entre eux, enfin les rencontres plus amicales à mon domicile avec d'anciens participants à mes séminaires.
Le temps passant si vite et le besoin de transmettre frappant à ma porte, tout ce matériau, collecté d’une façon un peu brouillonne pendant bientôt vingt-cinq ans, m'a ramené à un travail de synthèse. J’ai donc réuni des centaines de documents et tenté de leur donner une forme. J’ai fait ce que fait chaque analyste - et chaque analysant - tout au long d’une analyse : sparsa colligo, je rassemble ce qui est épars.
Ce livre se veut le récit d’un pas de deux, un mouvement de danse renouvelé avec tant de personnes, dans ou hors l’espace du cabinet, une partition offrant une large palette de rythmes soumis à la météorologie transférentielle. Si ces mots peuvent résonner utilement pour un thérapeute, jeune ou moins jeune, s’ils peuvent poser ici ou là quelques indices pour accompagner plus efficacement des patients en souffrance, alors que ce livre s’envole loin de mon fauteuil et de mon divan. Qu’il aille semer ses confidences dans les esprits qui voudront bien les accueillir.
Paris sentait la petite fille négligée. La moiteur de l'été, le flot ralenti des égouts et la grève des éboueurs, tout cela faisait une alchimie qui enfantait des odeurs lourdes et entêtantes. Tenez, fermez les yeux un instant et transportez-vous sur une place de marché, à l'heure où les vendeurs commencent à dégarnir leurs étals. Voyez les fruits trop mûrs éventrés sur les pavés, les nuages de mouches et d'abeilles. De ce bruissement d'ailes et de cette chair abrutie de soleil s'élève une senteur puissante, celle-là même que je veux évoquer. Elle planait dans les rues encombrées de poubelles, sommeillait sous les porches frais, grimpait dans les étages. Elle régnait sur la ville en maîtresse, tant les prémisses d'une brise espérée depuis des jours se faisaient attendre.
Le passeur est celui qui sait qu'il est second,
et non premier, et qu'il a reçu une mémoire énorme.
Il sait également qu'il n'est pas le dernier
et qu'il doit transmettre.
Armand Abécassis
Ils bâtissent avec des pierres et ils ne voient pas que chacun de leurs gestes pour poser la pierre dans le mortier est accompagné d'une ombre de geste qui pose une ombre de pierre dans une ombre de mortier. Et c'est la bâtisse d'ombre qui compte.
Giono