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Citation de Charybde2


Nous n’avons pas à légiférer sur le jeu de l’acteur. Cela signifie entre autres que d’une diction conforme aux principes de ce traité ne se déduisent ni les gestes que l’acteur fera, ni la façon dont il jouera, ni le sentiment qu’il mettra, et encore moins l’art de le diriger, ou de mettre en scène. Ce point n’est pas trivial, parce qu’il existe une thèse explicite ou implicite selon laquelle la diction ou la déclamation du théâtre classique français est à elle seule le jeu même. À la différences des théâtres élisabéthain, espagnol, allemand ou russe, le théâtre classique français, à cause de son vers strict, rigide, contraindrait donc jusqu’au jeu de l’acteur. On opposera alors, selon le cas, le jeu pratiqué dans une époque particulière de la Comédie-Française à la liberté de l’acteur shakespearien, au réalisme de l’acteur de Tchekhov, à la science de l’acteur brechtien, etc.
Louis Jouvet, le seul à avoir donné de façon articulée vraisemblance à cette thèse, est, lorsqu’il est lu, à cet égard mal compris. Certes, on trouvera nombre de cours de lui donnés au Conservatoire de Paris où il semble supposer que dire, c’est jouer : « L’acteur croit nécessaire de donner du sens à ses répliques, alors que le texte a assez de sens en lui-même. » Ou : « Ce n’est pas de la passion, la tragédie, c’est d’abord du vers. » Ou encore : « Avant de commencer cette scène [d’Alceste], je vais te prodiguer un dernier conseil : ne le joue pas. Tu ne vas pas le jouer, tu vas le dire tout simplement, dans le mouvement qui est dans le texte, sans y mettre d’intention » et « Le théâtre, c’est d’abord un exercice de diction. »
Il faut remarquer d’abord qu’il s’exprime ainsi devant des élèves de Conservatoire et qu’on n’a pas la preuve qu’il mît ainsi en scène. Mais si on y regarde à deux fois, le nouage complexe qu’il établit entre ce qu’il appelle la phrase, le sentiment et la respiration, allant jusqu’à des énoncés expressément contradictoires (le sentiment précède la diction, la diction précède le sentiment), n’implique nullement que dire et jouer soient une seule et même chose. Ni non plus que le jeu s’ajoute à la diction comme un supplément ou un ornement. Ce qu’il appelle le sentiment – terme pour lui essentiel, mais peut-être en même temps si dénué de sens que c’est e terme qui explique les autres et qu’il en est comme l’axiome indéfinissable -, le sentiment doit impliquer la technique. Ce sont donc des termes qui s’affaiblissent et s’opposent dès qu’on les sépare, et qui se renforcent dès qu’on les associe.
Sans doute en va-t-il de même dans toute théorie non romantique du jeu de l’acteur (celle qui ne met pas en avant : éclats, expressivité, hystérie, excès, cruauté, etc.), c’est-à-dire dans toute la théorie du jeu qui prend sa langue en compte, que ce soit l’anglais, l’espagnol, l’allemand, l’italien, l’indien ou le japonais. La pire diction est bien en un sens celle qui, séparée du jeu, se suffit à elle-même et jouit d’elle-même. Un tel point de vue entraîne à juste titre les acceptions péjoratives qui s’attachent d’ordinaire aux mots : diction, déclamation, récitation, etc. Le bon point de vue est donc celui selon lequel le jeu – dont nous ne disons rien – se lie à la diction de la même façon que le vers est homogène à la langue : ni totalement séparable d’elle, ni entièrement déductible à partir d’elle.
Dans le texte de Louis Racine cité au début, on note que Racine, metteur en scène de la Champmeslé, en somme, lui indiquait non seulement comment dire les vers, mais aussi quel sens il leur donnait et de quels gestes les accompagner. La diction n’était donc qu’un élément de sa « direction ». C’est l’indice que, même à une époque où, selon les uns, la direction d’acteur n’avait pas pris l’ampleur qu’elle a au XXe siècle, où, selon les autres, la mise en scène n’existait pas du tout – peu importe ici -, l’art de l’acteur pouvait ne pas se borner à bien dire. Au demeurant, le vers alexandrin n’était pas pas le problème principal de Racine, de Corneille, ni des classiques en général, pour la raison qu’ils héritaient du vers de Malherbe (et même de celui de Ronsard et de la Pléiade), dont la pratique et la théorie étaient déjà éprouvées. Aussi dans leurs Préfaces, Examens et Dédicaces, les voit-on plutôt occupés de questions qu’on dirait de dramaturgie : déroulement de la fable, traitement d’un sujet, motivation des personnages, questions métaphysiques.
L’art de l’acteur ou du metteur en scène se nourrira d’autant plus librement de tels textes que leur pratique se sera rompue à la diction même. Nous ne sommes donc restés qu’à l’entrée des artistes.
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