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Citation de blueman38


De la pauchouse au noah par Saint-Bonnet

Lorsqu’on parcourt la plaine de Saône, du nord au sud, on entend chanter d’abord sur les eaux lentes des rivières le mot pauchouse. Qui ne connaît la pauchouse, cette bouillabaisse bourguignonne dont quelques localités ardentes se disputent la gloire de la recette idéale ?
Une guerre ancestrale oppose les armées culinaires de Seurre et de Verdun-sur-le-Doubs. Il n’y a, prétendent les chroniqueurs, de pauchouse qu’à Verdun. Cette bourride d’eau douce exige des poissons pêchés dans la Saône et le Doubs, non loin de leur confluent, anguille, lotte, brochet, perche ou tanche, dont on coupe les têtes, et que l’on tronçonne. On tapisse le fait-tout d’oignons émincés, d’ail, de thym, de poivre et de sel. Prosper Montagné ajoutait du lard, mais cela paraît peu orthodoxe. Ce qui compte, c’est l’aligoté, un bon aligoté de vieille vigne, robuste et noueux, et puis, à table, l’obligatoire meursault accompagne ce plat sérieux, avec des croûtons frits au beurre et frottés à l’ail. L’estomac délicieusement encombré du riche souvenir d’une pauchouse verdunoise, on peut s’enfoncer dans la petite province un tantinet calviniste qu’est la Bresse.
Ça vous a d’abord des airs de Sologne, avec des eaux-mortes qui baignent le pied des aulnes et des charmes, et puis on se met à sinuer entre des collines frêles d’une douceur juvénile, qui cachent dans leur creux d’antiques métairies à colombages ou le sol de la salle commune est encore, quelques fois, de terre battue. La vigne, elle, rare aujourd’hui, se dissimule entre deux champs de hauts maïs qui ondulent sous le ciel immense.
C’est à la sortie d’un bourg où l’on aimerait vivre, et qui est comme perdu au bout du monde, avec ses biefs encombrés de roseaux et son patois fidèle où sonnent pointu les voyelles et ronflent les uvulaires, Saint-Bonnet-en-Bresse, que j’ai goûté le breuvage mythique et clandestin. Car les Bressans cultivaient jadis un plant de vigne redoutable, le cépage noah. Les officiels de la viticulture vous affirmerons que le noah dut rayé par décret de la surface de la terre. Or, mon vieux copain Gustave, un soir de vagabondage dans la rondeur bressane, m’attendait avec un coq au vin mijotant sur son fourneau. Un vrai régal. Et ses bouteilles sans étiquettes qui flanquaient le volatile, d’un vin rude et corsé, aux arômes puissants s’alliaient mystérieusement à la poésie d’un crépuscule rouge.
- Eh bien, mon garçon, me dit Gustave lorsque, après le fromage bleu, nous humions, le nez dans nos verres, les fragrances étourdissantes d’une « goutte » horriblement forte, qu’est-ce que tu racontes ?
- Sacré nom !
- C’est bien ça. Tout ce qui vient du noah est céleste.
- Quoi, c’était donc du noah, le vin qui rend fou ?
- Pardi, je ne n’en ai jamais bu d’autre ! Et tu vois, je me porte comme les clochers de Tournus. Les chimistes n’y connaissent rien, et le législateur est une bête.
Entre nous, les chimistes n’auraient pas tort. Il y a dans le noah, un principe virulent qui s’attaque aux défenses du cerveau, et l’on rencontre encore, en Bresse, quelques innocents de village qui lui doivent des discours surréalistes qu’ils tiennent à leur troupeau d’oies.
- Rien de tel que le marc de noah, ajouta Gustave pensivement. Dis moi, je ne suis pas plus bredin qu’un autre, non ?
Gustave est bien un peu goîtreux, mais il assure que le noah n’y est pour rien.
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