AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


C’est un maître Duverger en bras de chemise, très décontracté, qui ouvrit la porte à Mary.
L’accueil fut particulièrement chaleureux.
– Commandant Lester, je suis vraiment content de vous voir.
– C’est très aimable à vous, Maître.
– Excusez ma tenue, mais je me sens si bien ici que je prends tout naturellement mes aises.
– Vous auriez tort de vous priver ! Ça doit être éprouvant de devoir porter constamment le costume et la cravate.
Il sourit largement.
– C’est notre bleu de travail, ma chère. On s’y fait si bien que, lorsqu’on me surprend en tenue débraillée, j’ai le sentiment d’être en défaut.
Elle rit.
– Ce n’est pas moi qui vous le reprocherais.
Quelques classeurs étaient ouverts sur une table, près d’un ordinateur.
J’en profite pour mettre à jour des dossiers que je n’ai pas eu le temps de boucler avant de quitter Paris. Vous savez, je ne vous ai pas oubliée…
Il eut un petit sourire en coin.
– La juge Laurier ne vous fera plus d’ennuis. À moins, évidemment, que vous ne sombriez dans le grand banditisme. Là, je ne pourrai plus rien faire pour vous.
Un sourire malicieux plissait les pattes-d’oie qui partaient de ses yeux. Ce type avait vraiment un charme incroyable. Avec Jeanne, ils formaient assurément un bien beau couple.
Mary s’inclina.
– Je tâcherai de maîtriser mes mauvais instincts.
Ils échangèrent un sourire complice.
– Je vous en remercie, Maître, et je vous remercie également pour les mots élogieux que vous avez eus à l’égard de notre équipe.
– Bah, ce n’est que justice. Comment va ce brave commissaire Fabien ?
– Pas trop bien, je le crains.
Le visage de Duverger s’assombrit.
– Ah ? Un problème de santé ?
– Non pas, Dieu merci, de ce côté-là il serait plutôt gaillard.
– Alors ?
– Son trouble est plus précisément d’ordre moral.
– D’ordre moral ? répéta maître Duverger.
– Je me suis mal exprimée, j’évoquais son moral, car je doute fort que le commissaire Fabien fasse des entorses à la morale.
– Il n’aura pas apprécié que je garde quelque temps le lieutenant de Longueville ?
– Il y a de ça, reconnut Mary avec une désinvolture qu’elle ne ressentait pas. Cependant, en trente-cinq années de maison, notre divisionnaire en a vu d’autres. C’est la dernière arrivée dans ce que, au commissariat, certains appellent « la bande à Lester » et elle a su parfaitement s’y intégrer. A titre personnel, je déplorerais fort l’absence de Jeanne si elle devait durer ; je peux même vous assurer que ses collègues la regretteraient tout autant que moi. Voyez-vous, si une équipe d’enquêteurs aussi soudée et aussi complémentaire que celle que j’ai l’honneur de commander n’est pas aisée à mettre sur pied, en revanche, elle est facile à démanteler. La mise à la retraite de notre patron se profilant inéluctablement…
Elle n’acheva pas sa phrase que maître Duverger compléta assez vivement :
– Ce brave commissaire a bien gagné le droit au repos !
– C’est justement ça qui l’angoisse, et qui, par voie de conséquence, m’angoisse également. Savez-vous que j’ai, un moment, quitté la police ?
– En effet…
Il ne s’attarda pas à expliquer comment cette information lui était parvenue, mais du fait que sa fonction devait lui ouvrir toutes les archives, il avait certainement eu sa fiche sous les yeux.
– J’ai réintégré la grande maison à la demande expresse du commissaire Fabien.
Duverger eut de nouveau un mince sourire.
– Je sais cela aussi.
– Vous savez tout, constata-t-elle. –
Tout ce qu’il faut savoir, oui. je sais même que quand la place du commissaire Fabien sera vacante, vous serez toute désignée pour la prendre.
Elle eut un mouvement de recul qu’il mit sur le compte d’une heureuse surprise et ajouta :
– Vous avez tous les diplômes requis, avec des états de service dont peu de commandants de votre génération peuvent se prévaloir.
Il constata avec effarement que la nouvelle ne faisait en réalité aucun plaisir à Mary.
– Surtout pas ! fit-elle avec peut-être trop de véhémence.
La réponse, et le ton sur lequel elle avait été formulée, surprit Duverger qui en resta sans voix.
– Mon job, c’est le terrain, Maître, pas la paperasse. Je n’ai aucune envie de finir derrière un bureau avec des piles de dossiers à traiter. Le jour où le commissaire Fabien cessera ses fonctions, je mettrai un terme aux miennes, s’expliqua-t-elle.
Le front du conseiller maître s’était plissé, son visage trahissait une grande incompréhension.
– Alors votre belle équipe sera décapitée ?
– Je le crains.
Duverger fit la moue.
– Ce serait dommage ! dit-il.
– Personne n’est irremplaçable.
– Que faudrait-il pour que vous reveniez sur cette position ?
– Que le départ du commissaire soit ajourné de cinq ans.
Le front de Duverger se plissa.
– Voilà une requête peu courante, commandant !
– J’en suis consciente, reconnut Mary, mais si quelqu’un est capable de la faire aboutir, c’est bien vous. Vous m’avez fait un inestimable cadeau en rognant les crocs de madame Laurier et je me rends compte que j’abuse probablement…
– Pas du tout, objecta Duverger après avoir réfléchi. Pas du tout ! Le divisionnaire Fabien est un homme d’expérience.
– Ô combien !
– Vous savez qu’il est au taquet, comme on dit chez vous, il ne pourra pas espérer d’avancement.
Elle avança, en matière de plaisanterie :
– À moins d’être nomme préfet de police, non ?
Duverger eut un mince mouvement de recul.
– Vous savez bien que ces nominations sont éminemment politiques.
– Je le sais. Et le commissaire Fabien, qui s’est toujours tenu à l’écart de ce monde, le sait aussi. Mais rassurez-vous, il ne convoite pas la place.
– Je m’en doute.
Elle pensa : « Dommage. Fabien, à ce poste, aurait bien mieux fait l’affaire que l’individu falot qui l’occupait, nageant dans un costume trop grand pour sa silhouette d’anorexique. »
Peut-être que le conseiller Duverger songeait à la même chose.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}