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Citation de lanard


La pièce de l'Allemand Heinar Kipphardt, "En cause: J. Robert Oppenheimer", inspirée du procès-verbal de la commission qui compte un millier de pages, aura un immense succès en 1964, d'abord en Allemagne puis ailleurs en Europe. Elle sera adaptée (plutôt que traduite) l'année suivante par Jean Vilar (" Le Dossier Oppenheimer ") dans une version largement modifiée, au point que l'on peut parler de deux pièces différentes. Vilar a refusé de traduire la pièce de Kipphardt en premier lieu à cause de la réaction négative d'Oppenheimer. Mais cette réaction du physicien aux libertés que se permet l'auteur est aussi liée à des faiblesses dramatiques qui culminent avec le monologue qui conclut la pièce. Un monologue fictif d'Oppenheimer, envolée judéo-chrétienne monolithique mêlant pathos et didactisme: "Ce monde où des hommes se penchent avec effroi sur nos découvertes, où chaque découverte aggrave le poids de l'angoisse, c'est nous qui l'avons fait..."; "Et sans liberté il n'est pas de bonheur"; "Nous avons passé les meilleurs années de notre vie dans des laboratoires de mort et de destruction"; "Nous avons fait le travail du diable" [extraits tirés des pages 161-163, L'Arche, 1967]. Cette auto-culpabilisation pleurnicharde où Faust s'accuse à la face de l'humanité est une simplification outrancière. la scène finale veut transcender les événements factuels de la commission pour les dépasser, mais ce monologue mélodramatique oriente le débat en évacuant ses intrications pour le ramener à une question morales simpliste.
Face à ces débordements, nombreux dans ce texte de 150 pages, on apprécie l'austérité de l'adaptation de Vilar, moins longue du tiers, qui resserre les débats et dont les enjeux et la complexité ressortent plus clairement. Dans cette pièce qui s'ouvre abruptement ("Je vous rappelle donc que nos propos, questions, réponses et dépositions sont et seront tout au long de nos séances notés par ds sténographes" [9]), il n'existe pas de temps morts. Des discussions paraîtront elliptiques au lecteur qui connaît mal le cadre historique de la commission, mais c'est aussi une manière de rendre compte de le perte des repères, de la confusion idéologique et morale qui y règne.
A deux exceptions près, Vilar met en scène les mêmes protagonistes que Kipphardt: les trois juges de la commission, les avocates de la Commission de l'énergie atomique et l'avocat d'Oppenheimer; quelques-uns des témoins, soit deux militaires qui se trouvaient à Los Alamos pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que trois scientifiques. Des positions contrastées, certaines nuancées et relativement objectives, d'autres très subjectives, éclairent la complexité de la personnalité de l'accusé. Au-delà du responsable de Los Alamos, ces témoignages mettent en scène les enjeux de la guerre froide et le climat de paranoïa qui règne aux États-Unis.
Comme l'affirme un acteur de manière brechtienne: "Ceci n'est pas une fiction" [99]. En effet: ce huit clos a une valeur en tant que document historique. Paradoxalement, la dimension monacale de la pièce, sans artifices, produit un effet dramatique intense. Froidement, avec rigueur, elle offre le canevas d'une histoire vieille comme l'humanité: un individu empêtré dans ses contradiction, soudain mises en lumières par un pouvoir désirant détruire celui qui s'oppose à ses désirs. Oppenheimer a affirmé, dégoûté, que cette histoire n'est qu'une sinistre farce. Pourtant, rien de plus tragique que cet individu sur scène, isolé face à ses juges qui lui demandent pourquoi il a inventé une histoire et qui répond: "Parce que je suis un imbécile." La cruauté de cette autocritique, cet aveu de faiblesse auquel il ne peut échapper, a plus de poids dramatique que la longue tirade inventée par Kipphardt.
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