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Citation de Woland


[...] ... 22 novembre. Mgr Jérôme Champion de Cicé remet les Sceaux. Rien, au Roi, ne sera donc épargné, pas même l'abandon des clercs. Pourquoi ? Il a perdu son ascendant ; sous la magnifique enveloppe d'un cavalier de trente-cinq ans, il est devenu - s'en rend-il compte ? - un être prématurément vieilli par la douleur. On se répand en conjectures sur son mal. Atteint très jeune de phtisie, n'avait-il pas conjuré son mal à force d'exercices violents ? Lorsqu'on contemple ses portraits du moment, on est saisi par le contraste. Brun nous montre un être jeune, séduisant, aux yeux clairs. Carteaux nous présente une manière de Charles IV [= d'Espagne], aux joues affaissées, au regard éteint. Que Louis ait été poitrinaire ressortit à l'évidence, mais il semble bien qu'une alimentation saine, une activité physique l'aient tiré de ce mauvais pas. Serait-il rongé par une autre maladie ? Aucun rapport médical ne permet de l'affirmer. Quant à l'insuffisance glandulaire souvent évoquée, elle ne transparaît qu'à travers deux ou trois tableaux relevant de la caricature. Une autre question se pose. Le Roi ne serait-il pas atteint d'une tumeur maligne ? Elle n'expliquerait point pourquoi ce prince sobre et peu gourmet éprouve le fréquent besoin de croquer dans une miche ou de boire un verre d'eau, ou plus rarement de vin. Assurément, la maladie empire, n'embrume jamais l'esprit mais paralyse quelquefois les réflexes. Marie-Antoinette, l'évaporée d'autrefois, s'est muée en une princesse, faillible sans doute mais dotée d'une exceptionnelle intuition. De tout son coeur, de toute son âme, elle aide son mari. En l'épousant, ne s'est-elle point mariée avec la France ? Il n'écrit plus beaucoup ; prisonnier de son goût pour la perfection, il se défie de la plume. Elle, au contraire, appelle à l'aide sur tous les tons. Pour lui, le doute est intervenu dès 1787, et la catastrophe en 1789. Pour elle, il en va différemment. Alors qu'il croit possible une reconquête effectuée pas à pas, elle considère comme exclue une remontée progressive. Par malheur, elle ne trouve que peu d'alliés. A Paris, elle entretient des rapports courtois avec Monsieur [= le comte de Provence, futur Louis XVIII] sans oublier qu'hier encore il se répandait en calomnies sur la légitimité des enfants royaux. De l'Emigration, elle n'attend rien, mésestimant, à tort, les talents de Condé [= prince du sang et cousin de Louis], ne prenant pas au sérieux le comte d'Artois [= futur Charles X]. Sur ce point, elle est en désaccord avec Madame Elisabeth [= soeur du roi et, partant, de Provence et d'Artois. Elle avait un faible pour ce dernier.] Cette sainte s'en remettrait volontiers à ce gracieux démon, et, dès qu'elle parle de Galaor, Marie-Antoinette se fâche. Cela donne lieu quelquefois à des scènes odieuses. L'une comme l'autre confesseront : "Notre vie est un enfer." Que penser des ministres ? La Reine, longtemps protectrice de Necker, sans aveuglement sur le gros bonhomme mais par nécessité, n'accorde aucun crédit aux débris de son équipe non plus qu'à ses remplaçants. Hors M. de Fleurieu, qu'elle acceptera bientôt comme gouverneur du Dauphin, elle ne s'entretient qu'avec "le petit Montmorin" qu'elle juge trop flexible. Elle se heurtait à La Tour du Pin, à propos de menues faveurs, ignorait la qualité de La Luzerne. Admettant le dévouement de Saint-Priest, elle apprécie médiocrement les airs qu'il adopte lorsqu'il évoque M. de Fersen. Connaît-elle des nuits chaudes auprès de ce gentilhomme venu du Nord ? A Versailles, c'était impossible, aux Tuileries, c'eût été fort risqué. A Saint-Cloud, peut-être ... La science - puisque, dit-on, l'Histoire en est une - doit-elle conduire à l'indiscrétion ? Que Marie-Antoinette ait suscité un culte de la part de Hans-Axel ne présente aucun doute. Qu'elle ait éprouvé pour ce seigneur un sentiment allant au-delà de l'amitié ne se discute pas. Que sa rayonnante beauté, sa grâce aient profondément ému ce coureur de jupons ... Bien sûr, MM. de Coigny, de Besenval, de Lauzun, sans oublier [le futur Conventionnel] Alexandre de Lameth, s'étaient trouvés dans le même cas. Voir la Reine, c'était l'aimer et, pour certains, l'aimer à en perdre la raison ... A l'exception de Fersen et de Mercy [= ambassadeur d'Autriche], de quelques fidèles tel Reynier de Jarjaye, elle ne peut guère se confier. Tenant pour considérable l'ascendant de Mirabeau, elle n'en est pas moins souvent fortement déçue par le comportement équivoque d'un personnage dont les discours apparaissent trop souvent en contradiction avec les notes, tantôt lumineuses, tantôt irréalistes, qu'il adresse aux Tuileries. ... [...]
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