Jean-François Mignot

Le Tour de France visant à susciter l'intérêt du public le plus large, son succès dépend étroitement de son caractère spectaculaire. Comment a évolué le spectacle de la course ? N'est-il pas en partie remis en cause par les récents et récurrents scandales de dopage ?
Afin d'accroître le caractère spectaculaire du Tour, les organisateurs ont modulé les difficultés de la course, ce qui a conduit les coureurs à améliorer leurs performances. Pour quantifier rigoureusement l'évolution de la difficulté du Tour et de la performance des coureurs, il conviendrait de construire un indicateur qui tienne compte de plusieurs paramètres : le nombre de jours de course sans repos, la distance parcourue, la pente moyenne, la météorologie au long du parcours, etc. À défaut de disposer de telles données, nous présentons ici quatre indicateurs de difficulté du Tour et deux indicateurs de performance des coureurs.
Abordons tout d'abord la difficulté du Tour en analysant l'évolution du nombre de jours de course et de repos. Alors que les toutes premières éditions de l'épreuve comprenaient moins de dix jours de course, ce nombre croît tout d'abord entre 1910 et 1924 pour atteindre quinze jours de course, puis il croît de nouveau à partir de la seconde moitié des années 1920 pour dépasser la vingtaine de jours. En effet, en 1905, les organisateurs du Tour, soucieux d'éviter la triche et de mieux surveiller l'épreuve, organisent les étapes de jour, et non plus la nuit, ce qui requiert de réduire la longueur de chacune d'entre elles mais permet du coup d'accroître leur nombre.

De cette histoire du Tour de France, il ressort une idée centrale : le Tour constitue avant tout un spectacle sportif à visée commerciale. Loin de l'amour « gratuit » du jeu prôné par certains des premiers praticiens ou organisateurs du sport moderne, comme l'aristocratie anglaise et le mouvement olympique, et loin de l'amateurisme effectivement adopté pendant la quasi-totalité du XXe siècle dans certains sports, comme le rugby, le cyclisme est, depuis qu'il existe, un sport de professionnels, rémunérés comme tels.
Dès la fin du XIXe siècle en effet, des journaux organisent des courses cyclistes afin d'accroître leur diffusion. En outre, dès la même époque, des sociétés de bicyclettes et de pneumatiques sponsorisent des coureurs cyclistes afin qu'ils gagnent ces courses et fassent ainsi la preuve de la supériorité de leur matériel. Les sociétés de bicyclettes et de pneumatiques n'organisent toutefois pas les courses elles-mêmes, sans doute parce que, en cas de victoire de leurs coureurs, le public les aurait soupçonnées de triche, réduisant ainsi la crédibilité de la publicité qu'elles désiraient faire de leurs marques. C'est dans ce contexte, dans lequel les courses cyclistes ont un but lucratif, que le Tour de France est créé. Dans cette perspective, le Tour est une entreprise qui, comme toute entreprise, vise à maximiser son profit et pour cela cherche à adopter les mesures les plus adéquates.

De sa création en 1903 jusqu'à sa dernière édition d'entre-deux-guerres, en 1939, le Tour de France est une entreprise dont les recettes proviennent, d'abord, du surcroît de ventes de L'Auto, qui lui-même accroît les recettes publicitaires du journal ; ensuite, du sponsoring d'un spectacle sportif par les annonceurs de la branche du cycle et du pneumatique, une branche en pleine croissance, dans laquelle les marques cherchent à prouver par leur victoire la qualité de leurs produits ; enfin, de la vente du passage de ce spectacle sportif à des villes-étapes en recherche d'activité économique et de publicité. Les lecteurs de L'Auto recherchant des récits épiques, jusqu'à la première moitié des années 1920 chaque étape dépasse en moyenne 300 km et 10 heures de course, et les abandons de coureurs sont fréquents. La diffusion du Tour à la radio à partir de la seconde moitié des années 1920 conduit les organisateurs à réduire fortement la distance et la durée des étapes, tout en augmentant leur nombre et en réduisant le nombre de jours de repos, ce qui a pour effet de réduire le taux d'abandon des coureurs et d'accroître leur vitesse. Les sponsors d'équipes étant par ailleurs accusés par les organisateurs de verrouiller la course, ils sont en 1930, et jusqu'en 1961, évincés de la course.

Les travaux d'histoire du Tour de France ont montré que cet événement sportif reflète plusieurs transformations majeures de la société et de la culture populaire françaises des XXe et XXIe siècles, notamment l'avènement d'une culture de masse (chapitre 1). Le Tour de France naît avec l'essor de la société de consommation, qui se révèle notamment dans l'achat de bicyclettes et de journaux sportifs. Le spectacle sportif qu'est le Tour se développe ensuite avec l'essor de la civilisation des loisirs : il illustre la place croissante des temps de congés dans l'emploi du temps des Français. Et, depuis sa création, la retransmission du Tour évolue de pair avec les mass media : le journal, la radio, puis la télévision (et enfin Internet). Le Tour reflète ainsi, peut-être mieux qu'aucun autre spectacle populaire, l'émergence d'une culture de masse.

Le Tour de France est l'un des événements sportifs les plus durablement populaires en France et plus généralement en Europe occidentale et dans le monde. Comment une telle course cycliste, créée en 1903, est-elle parvenue à accroître puis à conserver son attrait auprès du public, malgré les transformations multiples et profondes qu'a connues ce public en plus d'un siècle ? De quelles façons le Tour de France a-t-il changé afin de s'adapter à chaque époque ? Et quelles évolutions de la société française l'histoire du Tour reflète-t-elle ? Les cent premières éditions du Tour, qui se sont déroulées de 1903 à 2013 avec une interruption pendant les guerres mondiales, offrent l'occasion de revenir sur l'histoire de cette institution.

Depuis qu'une part non négligeable des mineurs adoptés sont des enfants abandonnés, qu'ils sont adoptés par des couples stériles et que les adoptants attendent de l'adoption des gratifications avant tout émotionnelles plutôt que de transmettre un héritage, l'adoption comporte un enjeu psychologique majeur.