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Citation de Lamifranz


…Je regardais cette glacière quand j’ai vu l’Albin venir. Oh ! ça se voyait à peine, mais, vous savez, quand on attend et qu’on est prévenu, la moindre des choses vous guide. Le patron ronflait toujours. Devant la porte du silo, il y avait un figuier au tronc courbé comme un banc.
C’est là qu’il a dû s’asseoir et il se peut que la chose n’ait commencé que longtemps après ; il est peut-être resté quelque temps muet, à regarder cette Douloire en pierre, la robe de sa bonne amie ; la robe et le corsage, et si lourd que la bonne amie étouffait dessous. Et même, à y réfléchir, ça a dû être comme ça ; il a dû arriver là, en face de la ferme et s’asseoir sur le tronc courbé du figuier, et moi je l’avais perdu dans le feuillage de l’arbre et aussi dans le feuillage de la pensée parce que, la nuit, c’est toujours un peu câlin ; et puis, d’un coup, j’ai reçu la chose en travers de la figure.
Ah ! je dis bien : en travers de la figure, parce que ça m’a fait l’effet d’un coup de pierre.
Il appelait ça parler à Angèle !
Certes, d’un côté, ça pouvait s’appeler comme ça, mais, au lieu de mots, c’était les choses elles-mêmes qu’il vous jetait dessus.
D’abord, ce fut comme un grand morceau de pays forestier arraché tout vivant, avec la terre, toute la chevelure des racines de sapins, les mousses, l’odeur des écorces ; une longue source blanche s’en égouttait au passage comme une queue de comète. Ça vient sur moi, ça me couvre de couleur, de fleurance, et de bruit et ça fond dans la nuit sur ma droite.
Y avait de quoi vous couper l’haleine !
Alors, j’entends quelque chose comme vous diriez le vent de la montagne ou, plutôt, la voix de la montagne, le vol des perdrix, l’appel du berger et le ronflement des hautes herbes des pâtures qui se baissent et se relèvent toutes ensemble sous le vent.
Après, c’est comme un calme, le bruit d’un pas sur un chemin : et pan, et pan ; un pas long et lent qui monte et chante sur des pierres, et, le long de ce pas, des mouvements de haie et des clochettes qui viennent comme à sa rencontre.
Ça s’anime, ça se resserre, ça fuse en gerbes d’odeur et de son, et ça s’épanouit : abois de chien, porte qui claque, foule qui court, porc, gros canard qui patouille la boue avec sa main jaune. Tout un village passe dans la nuit. J’ai le temps d’entendre un seau qui tinte sur le parquet, une poulie, un char, une femme qui appelle ; j’ai le temps de voir une petite fille comme une pomme, une femme les mains aux hanches, un homme blond, et ça s’efface.
Tout ça, c’était pur !
Là, il faut que je m’arrête et que je vous dise bien, parce que c’est ça qui faisait la force de toute la musique, combien on avait entassé de choses pures là-dedans.
Ce qui frappait, ce qui ravissait la volonté de bouger bras et jambes, et qui gonflait votre respiration, c’était la pureté.
C’était une eau pure et froide et que le gosier ne s’arrêtait pas de vouloir et d’avaler ; on en était tout tremblant ; on était à la fois dans une fleur et on avait une fleur dans soi, comme une abeille saoule qui se roule au fond d’une fleur.
Le plus fort, c’est que c’était dit avec nos mots et de notre manière à nous.
Moi, vous savez, c’est pas pour dire, mais j’ai entendu déjà pas mal de musique et même, une fois, la musique des tramways qui est venue donner un concert à Peyruis pour la fête. J’avais payé une chaise trente sous ; c’est vrai qu’avec ça j’avais droit à un café. Y avait pas loin de moi la femme du notaire et la nièce du greffier ; et tout le temps, ç’a été des : « Oh ! ça, que c’est beau », « Oh ! ma chère, cette fantaisie de clarinette. » Moi, j’écoutais un petit bruit dans les platanes, très curieux, et que je trouvais doux : c’était une feuille sèche qui tremblait au milieu du vent.
La grosse caisse en mettait à tours de bras. Alors, je suis parti sans profiter de ma chaise et de mon café pour mieux entendre ce qu’elle disait, cette feuille.
Ça vient de ce qu’on n’a pas d’instruction ; que voulez-vous qu’on y fasse ? Cette feuille-là, elle me disait plus à moi que tous les autres en train de faire les acrobates autour d’une clarinette.
C’est comme ça.
Eh bien, la musique d’Albin, elle était cette musique de feuilles de platane, et ça vous enlevait le cœur.
Savez-vous ce que je peux vous dire encore pour vous faire comprendre comment du mitan de la nuit étaient nées, vivantes, ces images ? Eh bien, voilà : je ne sais pas si ça vous est jamais arrivé, mais, pour moi, chaque fois, ça me produit le même effet : c’était comme quand on apporte dans une chambre une corbeille de champignons.
Rien que l’odeur, d’un coup, ça renverse les murs et je suis dans la forêt avec la pluie dans les feuilles ; j’entends la pluie, je vois les arbres ; j’étendrais la main, sûr, je toucherais le corps d’un chêne. Eh bien ça c’était pareil.
Il avait trouvé ça, cet homme !
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