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Citation de aleatoire


"Ne trouvez-vous pas, monsieur le duc, que la marquise de Sarlèze ressemble étrangement à une cigogne ce soir ?"
C'était fou et c'était vrai.
Avec son long cou granulé, sa face étroite, ses yeux ronds aux paupières membraneuses, avec son grand nez effilé surtout, effilé comme un bec et l'artifice évident des faux cheveux adhérant mal au crâne, la marquise de Sarlèze était, ce soir-là, une effarante cigogne de cauchemar. La ressemblance m'apparut tout à fait criante, et je sentais ma raison sombrer dans l'inconnu ; car dans la buée lumineuse des lustres, le long des hautes fenêtres drapées de satin vert pâle et dans l'embrasure des portes, les salons de l'hôtel de Sarlèze venaient de se peupler de masques.
La femme au piano, qui chantait, à moitié nue, comme entraînée en avant par le poids de sa gorge, avait le profil d'une brebis bêlante ; le blond de ses cheveux avait jusqu'à l'aspect terne et laineux d'une toison. De Tramsel dégageait un museau de renard, Mireau, le romancier, une gueule de hyène ; dans le groupe des femmes assises, toutes les fleurs du faubourg en corbeille pourtant, c'étaient des édifices de plumes, de gazes et de soie peintes écrasant des cous frêles et des poitrines plates : d'étroites épaules engoncées de manches énormes, la maigreur étoffée des phtisies à la mode, ou bien, pis encore, l'éléphantiasis cuirassée de jais des grosses dames, et cela sous les jets crus du gaz. De lourdes faces bovines, des prunelles aqueuses de vaches ruminantes à côté de fronts fuyants de carnassiers et d'yeux ronds d'oiseaux de proie.
Debout près du Pleyel, la dame à la face moutonnière, la comtesse de Barville, continuait à bêler du Chaminade ; un pianiste, un professionnel aux yeux saillants de batracien dans une pauvre petite figure écrasée et stupide, l'accompagnait en saccade avec des gestes hâtifs.
L'enfilade des salons de l'hôtel de Sarlèze, leurs longs parallélogrammes d'anciennes boiseries à peine rehaussées d'or, peuplés littéralement de spectres et, comme dans un envoûtement, l'atmosphère toute grouillante de larves, telle une goute d'eau vue au microscope, laissait transparaître avec les âmes les épouvantables faces des instincts et des pensées ignobles. Autour de nous, grimaçaient, tournoyaient des bouches d'ombre.
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