Les matins - Noëlle Lenoir et Jean-louis Bourlanges .
Noëlle LenoirAncien Ministre chargé des Affaires Européennes de 2002 à 2004Conseiller d?EtatJean Louis BourlangesAncien député européen et vice-président de l'Union pour la démocratie française (UDF)Essayiste
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On a voulu nous faire croire qu'il n'y avait pour l'opposition d'autre choix que cohabiter ou de mourir.
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Or, la dissociation de mars 1986 entre la présidence de la République et la majorité parlementaire ne conduisait pas nécessairement à la cohabitation. Elle pouvait tout aussi bien déboucher sur une confrontation majeure entre les deux pouvoirs en concurrence, confrontation qui se serait résolue soit par le retour au statu quo ante, soit, plus vraisemblablement, par la mise en œuvre de ce que Raymond Barre devait appeler la "grande alternance."
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Les chefs de l'opposition de l'époque, et en particulier MM. Chirac et Giscard d'Estaing, n'ont pas seulement accepté l'option cohabitationniste mais ils l'ont véritablement recherché, préparée, rendue tout ensemble possible et inévitable.
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Des trois principaux candidats à la présidence de la République, l'un, M. Mitterrand se présentait comme l'homme d'une sensibilité républicaine aux contours indéfinis, l'autre M. Barre, comme le garant impartial d'un pacte majoritaire associant à égalité de droits et de devoirs des partis différents. Seul Jacques Chirac s'interdisait de dissocier sa stratégie présidentielle personnelle de la stratégie collective du RPR en vue de prendre le contrôle la majorité toute entière et de devenir, comme aux beaux jours de la Ve République, en majesté, le parti dominant de la prochaine décennie.
Exploitant à son avantage la situation, François Mitterrand avait parfaitement compris - et l'affaire du Rainbow Warrior le lui avait confirmé s'il en avait jamais douté - que le principal ressort de la cohabitation, ce qui y conduisait inévitablement le RPR et l'UDF, ce n'était pas l'intérêt supérieur du pays, ni la crainte de la crise de régime, ni la volonté de rassembler les Français, c'était tout simplement la division interne de la majorité et la volonté d'empêcher Raymond Barre d'empocher les dividendes d'une campagne présidentielle anticipée.
C'est pendant l'été 1985 qu'a été perdue l'élection présidentielle de 1988. C'est alors que la décision de voir en Raymond Barre et non pas en François Mitterrand l'adversaire principal de Jacques Chirac dans la future compétition a, par une démarche suicidaire, conduit le RPR à prêter la main à un processus de béatification vivante du chef de l’État.
L'acceptation de la "dyarchie" hautement récusée par le général de Gaulle n'aurait pu se concevoir, que si la crise ouverte par la dissociation politique n'avait comporté aucune solution compatible avec l'ordre constitutionnel établi.
Or tel n'était pas le cas.