Tous autant que nous étions, nous cachions nos failles. Nos nouvelles certitudes nous prenaient à la gorge mais le passé persistait à se faire entendre. Derrière les discours carrés, les refus d'une société invivable, le dégoût d'un monde soumis à l'argent, s'étendait un paysage humain fait de mauvaises coutures.
Les femmes chuchotent
La frontière, bientôt, oui,
Le jour approche, disent-elles
Quel jour ?
Deux mois
Combien de pas
Depuis chez nous ?
Combien encore
Devant Moi ?
Je n'avais jamais vu
Et eux non plus
La mer
Tout ce bleu
Est-ce possible
Deux mois
Et ce vide
Où ne tombe
Un seul mot
"Bonjour de bon cœur et de tout notre sang !
Bonjour, bonjour, le soleil va se lever sur Paris,
Même si les nuages le cachent il sera là,
Bonjour, bonjour, de tout cœur bonjour !"
"Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille."
"Il était une feuille avec ses lignes."
S'il y avait aussi une branche, un arbre, ses racines et une terre toute ronde, c'était pour lui.
( "lui" , il s'agit de Robert Desnos)
Un vieux, beau encore, trop jeune pour savoir vieillir, voilà pourtant ce qu'il était devenu.
Années de guerre, de défaite et d'occupation.
Comment supporter ce temps de vide et d'attente? Comment simplement penser? Les lectures ne guérissent rien quand il y a trop de fantômes. Et demain est trop loin pour y croire encore.
Nous avons tous une propension à ranger les livres dans une catégorie connue comme si cela pouvait nous aider dans leur lecture.
J'entendais les enfants ouvrir les portes, se chamailler en courant. Cette chaleur du corps que je touchais m'était promise.
Quel est le prix
D'une vie
Aujourd'hui ?
Un mot, un regard
De trop
Et c'est ainsi que doivent se lire les livres d'Alejo Carpentier : quand nous contemplons les tableaux de Vermeer, on observe en nous approchant que chaque touche de pinceau comprend des centaines de petits points finement gravés ; chez vous, ce sont les mots et leur ordonnancement qui provoquent cet enchantement de la phrase et de toute l'oeuvre. (Extrait d'une lettre de Paul Carpentier à Alejo Carpentier)
Plus nous nous approchions du départ, plus mes certitudes s'effilochaient. Un état de déséquilibre que j'ai toujours ressenti entre l'heure de la décision et l'heure de la réalisation. Reculer ou avancer, renoncer ou partir. Se confronter au binaire est une épreuve, parfois une tragédie.