Dans ses romans, Giono ne parle pas de la nature, c'est la nature qui parle à travers lui, une nature transfigurée qui passe par les veines, le sang et le grand cœur de l’écrivain.
Très vite, moi qui arrivais d’un pays où tout semblait bloqué, je me laissais gagner par la simplicité de ce mouvement et par son évidence qui emportait toute réserve et toute morosité.
Soudain, quelque chose fait irruption : une parole, des actes, des manières d’apparaître que je n’avais encore jamais vues en France. Le peuple dans la rue redevient dangereux. Il manifeste là où on ne l’attend pas, il bloque les routes, les péages et les ronds-points. Et surtout, il ne respecte pas le protocole habituel, celui d’une gauche inoffensive qui n’en finissait plus de se décomposer. Il s’en moque même, insensible à cette mélancolie postmoderne qui avait fini par tous nous gagner. Ici, c’est le retour de la colère, ici, c’est le retour de la joie.
C'était une vieille maison ressemblant à celle de ma grand-mère, avec son jardin aux herbes aromatiques, ses chats sauvages et sa salle à manger où tout le monde s'asseyait sur une grande banquette. Et l'on buvait le sourdj en mangeant des quartiers de pommes et d'oranges disposés en couronne sur des assiettes.
Beaucoup parlent aujourd’hui, avec une joie mauvaise, du désenchantement du monde. Voire de sa fin prochaine. C’est même le thème favori de tant de livres qui encombrent les étals des librairies. Ressasser ce malheur fait vendre. Mais pourtant, je sais bien qu’il suffit de me retrouver dans le miroitement du monde pour éprouver de nouveau la joie. Ce monde est là, et même s’il semble prêt de disparaître, c’est notre propre fin que nous imaginons. Notre joie consiste, par-delà la peur, à relever ces vraies richesses, à s’y mêler tant qu’on peut, en s’en prenant aussi, inlassablement, à ceux qui veulent nous en priver.
L'écrivain est un être solitaire, agençant ses pensées dans le silence de sa tête, récurant le moindre recoin de son être pour en recueillir bouts d'histoires et dialogues de fantômes. Il peut parfois se transformer en conteur, directement confronté à ses lecteurs. Il peut aussi, c'est encore plus rare, incarner des aspirations diffuses de l'époque et leur donner force et ossature par le pouvoir de ses mots et de ses histoires. Giono, dans le mitan des années 1930, joignit les trois rôles et à travers l'expérience du Contadour, sembla un instant se métamorphoser en pythie du chant du monde. C'est de cet enchantement que nous parlerons ici.
Nous avons eu la chance de vivre ces moments si rares où l’obéissance est morte, où la résignation quotidienne a soudain disparu.
Durant ces journées d’agitation, un grand nombre de gens avaient entrevu un autre pays, un pays où il serait possible de vivre sans avoir à émigrer, un pays où serait mise en place une justice sociale, un pays où l’on pourrait se partager le peu de richesses que s’accaparait jusqu’à maintenant un petit groupe de parasites.
Les modalités de ce type de démocratie directe devaient être discutées dans tout le pays. L’Arménie, petit pays pauvre (trois millions d’habitants) pouvait tenter une autre manière de s’organiser que la sempiternelle et déprimante démocratie représentative qui, à terme buterait sur les mêmes écueils.
C’était vraiment un beau moment de retournement, ce moment où la peur change de camp.