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Citation de GabySensei


La vérité, songea Wang, lorsqu'il fut enfin seul, c'est que c'était du pipeau ; la guerre ne répugnait à aucune ruse. En clair, si les textes inclus dans la liseuse étaient tous du domaine public, il ne fallait pas compter y trouver La Comédie humaine ou Les Rougons-Macquart en collection complète, annotée, illustrée et agréable à lire. Les éditeurs historiques de Balzac et de Zola en auraient attrapé des boutons de fièvre. Ces versions-là, il faudrait encore les racheter pour quelques euros sur les plates-formes dédiées. Pas question de les mettre directement sur le B@bil Book. Parmi les deux cents livres proposés, il n'y avait que des œuvres ultraconnues, choisies pour la façon dont elles entraient en résonance avec le cinéma. Hugo ? Les Misérables ; Zola ? Germinal ; Balzac ? Le Colonel Chabert ; La Recherche ? le premier tome, pas les autres, et ainsi de suite. S'ils ne les avaient pas lus plusieurs fois, les gens pouvaient se rattraper avec les aventures complètes de Sherlock Holmes, les Fables de La Fontaine ou Vingt Mille Lieues sous les mers. Cela lui rappelait la Chine sous Mao, quand tout le corpus littéraire et philosophique se limitait peu ou prou à la production du XIXe siécle.

Du point de vue des éditeurs, il s'agissait simplement de produits d'appel pour vendre ensuite leurs nouveautés. Pour les concepteurs de liseuses, cela n'avait aucune espèce d'utilité. Le temps que les acheteurs ouvrent leur e-books, ne serait-ce que pour les feuilleter, et on aurait changé trois fois de tablettes et de normes de fichiers. L'important, ce n'était même pas qu'ils achètent des livres numériques récemment parus, mais qu'ils achètent encore et encore la possibilité de les acheter. Le même système que partout ailleurs, et qui fonctionnait à vide, comme le reste de l'économie. La bibliothèque numérique n'était qu'une variation moderne du péché d'orgueil, celui de parvenus pressés d’exhiber leur prospérité, s'entourant de livres tape-à-l’œil -voire de simples reliures vides- qu'ils n'avaient jamais lus et ne liraient jamais.

Dans les bureaux de recherche de la maison mère, on travaillait déjà à des liseuses one shot, des B@bil Books jetables qui ne contiendraient qu'un seul titre et se réduirait à une feuille de plastique souple. La technologie était au point, il n'y avait plus qu'à développer des stratégies de communication permettant de la rendre indispensable. Un autre projet, tout aussi avancé, visait à se passer définitivement des écrivains. Monsieur Wang avait pu tester une version du logiciel, une merveille d'intelligence artificielle qui combinait la mécanique bien rodée du storytelling et plusieurs générateurs de textes, de situations, de personnages, dans le style désiré. Il voyait déjà ce que cela donnerait dans quelques années. "Déçu par la littérature contemporaine ? Réagissez, ne lisez plus que les romans dont vous êtes l'auteur !" Ou ceux de vos enfants, de vos amis, de votre chien.

(P359)
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