«... Une fille inconnue dont le nom donne des frissons pénètre dans la salle à manger du Valentino à Troyes et se dirige vers un homme qui n'est pas moins célèbre qu'elle et qui a fait des siennes en Irak, juste avant l'arrivée des Américains. Elle transporte un objet dans son sac.
«Une arme», avance le serveur.
Je le crois sur parole, mais quelle sorte d'arme et pour quoi faire ? Une arme dont on dit à l'Elysée qu'elle est une Malédiction...»
Saisir le pis d’une vache c’est toujours ouvrir une vanne magique qui depuis la nuit des temps nourrit l’humanité. C’est là un acte religieux et pourtant méconnu. Sous la mamelle chaude que notre main étreint, le lait jaillit à flot tendu : nourriture.
La nature ferreuse a ses règles que la vie ne dément jamais. J’ai pensé qu’il allait falloir me méfier de tout désormais et surveiller mes arrières. N’empêche ! Je n’étais guère rassuré, au mieux effrayé, au pire terrorisé. Le plus souvent, je voyais la mort partout qui me poursuivait, et je me signais incessamment à la moindre occasion. La nuit, lorsque les étoiles le disputent à la lune pour éclairer les cieux, je restais éveillé surveillant le moindre bruit, attentif à tout mouvement.
On dit que la nuit, quand le jour se repose, il hante les cimetières et qu’on le voit parfois, au-delà des remparts de la ville, arpenter la campagne en faisant de grands gestes. On dit aussi qu’il a gîte et couvert chez les moines qui l’accueillent plus souvent qu’à leur tour et que même l’évêque le craint. Mais ce ne sont là que des bruits qui courent, comme les feuilles sous la bise automnale. Personne ici ne vous renseignera plus avant car chacun se doute…
Tout cela m’est égal maintenant. Tout juste une douce nostalgie s’empare-t-elle de moi. Ange, j’ai heureusement perdu l’immense vanité des hommes qui les fait se croire grands alors qu’ils sont toujours immanquablement petits. Ange, j’ai perdu l’outrecuidance et le mépris dont les humains s’abreuvent sans répit. Je sais maintenant que nos fiertés d’alors étaient vaines et nos occupations dérisoires. Que seule compte l’œuvre.
Quand on n’a rien à faire, la vie semble se dévider comme le fil sur la bobine. À la fin, c’est à peine s’il en reste quelque chose sinon de pâles habitudes : une femme, un enfant, un métier, les trois devenus indifférents qui servent en somme de cadre au tableau, sauf que le tableau a soudain disparu. Les gars étaient ainsi, à la recherche d’eux-mêmes et d’un peu de vie qui, soudain, les aurait fait exister.
On est des araignées, chef ! Plus l’autre nous regarde, plus il oublie la toile !