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Citation de Jcequejelis


Un soir, au cagnard d'un ranc, mon aïeul m'a dit ma race.

Je viens des nuits où les hommes de la terre n'avaient rien, pas même de nom, n'étaient rien et naissaient et mouraient sans laisser plus de traces qu'un lièvre sur un pré. Au temps de la Narbonaise, de l'Aquitaine ou du Comté de Toulouse, sous les Francs ou sous les Goths, l'un des nôtres put acquérir un chevreau femelle en propriété, d'où son fils eut un couple, son petit-fils un troupeau, son arrière-petit-fils le nom de chevrier qui est le nom de la race depuis lors. Volant au sommeil le temps de travailler pour eux, tandis que les bonnes heures ensoleillées étaient pour le fief de Coudouloux, les chèvres s'accommodant de la traite aux deux bouts de la nuit, les serfs purent amasser de quoi acheter au seigneur une partie d'eux-mêmes, ainsi les fils de la lignée chevrière naquirent vilains. Le lait caillé dans les nuits de plusieurs générations, les piécettes des fromages passées sournoisement à travers guerres et logements mercenaires, descentes des Saxons et montées des Sarrasins, permirent aux Chabrous d'acquérir un pan de caillasse au pire de la montagne. le granit fut brisé, les cailloux cassés en gravier, le gravier écrasé, émié, de père en fils, en petit-fils. Tout en nourrissant leur seigneur, subsistant eux-mêmes de leurs chabros, traites après le crépuscule et avant l'aube , il leur suffit pourtant de quelques générations pour faire la terre de leurs mains. Puis il y eut le siècle des Chabrous, qui haussèrent la terre en traversiers, le siècle qui y sema les châtaigniers, le siècle de la vigne, le bon siècle du mûrier, du magnan, de la soie, de la poule au pot, où ma race gardait les chèvres du nom et de la lignée en lisant Dieu à livre ouvert. Enfin le siècle où mon grand-père du défendre son bien, et son Gravas, et ses chèvres, où mon père souffrit pour son Dieu, pour les siens, pour son mas.

Voilà, et voici que le gravier grignote la bonne terre du Gravas, voici que des chabros de la lignée, il n'en survit pas une seule, et de leurs chevriers, le dernier, nu dans la tempête, et blessé déjà...

791 - [Folio n°257 , p. 361]
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