Aucun versant ne me retient.
Je n'appartiens à aucune rive.
Au long des cols ou au milieu du fleuve,
la brusque espérance tempère
en moi la longue amertume.
Que je rôde en barque le soir
autour des îlots boisés,
guidé par l'onde rampante des feux,
ou qu'à l'aube, vêtu de brume phosphorescente
je franchisse le damier scintillant des étangs,
j'éprouve la même infime sensation d'un vertige.
Touché par les larmes d'une joie infinie
que je sens infusée par tout l'espace vacant,
j'ai le sentiment alors de frôler la lisière
d'un monde au revers du monde, plus vaste
que celui-ci, plus allègre, et dont le rapide
reflet étincelle encore autour des choses muettes.
Près des iris bleus
suivre la trace des limaçons
sur le vieux mur
jusqu'à l'orée du monde
Me voilà à nouveau parti en randonnée
dans les rues de Paris, abandonné
au seul petit plaisir de me désorienter,
ma boussole simplement aimantée
par le rythme auto-hypnotique de la marche,
par la pensée de Queneau et de Fargue,
et par la promesse éberluée d'un jardin
perdu au creux du rêve citadin.
Avant que l'oubli n'ait tout embué
je veux un instant encore
retenir de ce jour qui s'enfuit
la lueur bleue détrempée
d'une brassée de lilas
que les assauts du vent malmènent
Avant que l'oubli n'ait tout embué
je veux un instant encore
retenir de ce jour qui s'enfuit
la lueur bleue détrempée
d'une brassée de lilas
que les assauts du vent malmènent
("Tout-venant ")
Que le jour semble étroit
que la lumière paraît terne
et mesquine
ah que ne donnerais- je pour revoir
les incandescences et éclaboussements de jaune
les ondoiements bleu azur ou lilas
les marbrures ocre orangé
les palpitations des roses violets et vermillons
d'une peinture de Bonnard
(" Tout-venant")
La dame qui s'habillait
en rose mauve ou fuchsia
qui était drôle libre impertinente
a quitté ce monde grisâtre
je repasse devant sa maison au portail rose
son ombre est dans le jardin
qui hante le seringa
Entre les darses fétides et les marais salants
le fin écoulement d'une eau vive
enfouie
Avant l'embouchure
au seuil de la perte et de l'oubli
le fleuve reprend racine
en souvenir de toutes les sources
Les merveilleux galets
dans l'eau transparente du torrent
voici qu'au creux de ma paume le vent
en les séchant en a déjà terni les couleurs
ainsi les choses que l'on veut saisir
parfois misérablement s'éteignent
Juste avant que le train n'entre en gare
ma pensée est brusquement aiguillée
le long des voies dérivées
sur des triages annexes
où stationnent d'antiques wagons
échoués sous des potences
vers cette zone empreinte de mystère
et de mélancolie
dont elle essaie de saisir au passage
la beauté obscure