J’accorde mes voluptés
À qui donne sans compter.
Ma bouche sensuelle et gourmande
Adule, effleure, quémande.
Pour votre grand plaisir,
J’offre mon corps comme élixir.
Mon jeu c’est l’ivresse des sens ;
Sans jamais faire allégeance.
Puis, je m’éclipse, comme une ombre secrète,
Laissant dans mon sillage une fragrance discrète.
Leucosélophobie, le syndrome de la page blanche. Ce soir, Sébastien Schwob en était la victime. Manque d’inspiration ? Certainement pas ! Les idées se bousculaient dans sa tête, s’entremêlaient tels les fils d’une pelote de laine. La plume tremblait entre ses doigts ne sachant par où ni comment débuter. La crainte de faire le mauvais choix paralysait son esprit, brisait sa volonté. Pensées embrouillées, cerveau embrumé, il était quelque peu à la dérive comme un bateau sans gouvernail. La faute, probablement, à cette journée merdique où tout était allé de guingois : une interpellation ratée, un de ses hommes à l’hosto.
La soixantaine toute fraîche, quelques cheveux blancs ombrageant son front, un visage long et fin, elle affichait une silhouette longiligne. Marie Lindemann demeurait une femme incroyablement séduisante pour son âge. Toutefois, elle n’avait jamais songé à se remarier. De tous les amis de son défunt mari, elle ne voyait plus qu’un avocat quinquagénaire qui l’avait accompagnée durant son deuil. Violoniste émérite, il partageait avec Marie le même engouement pour la musique classique et tzigane. Une fois par semaine, le jeudi, il se rendait chez elle pour y passer la soirée. Se contentant bien souvent d’un dîner frugal, ils ne tardaient pas à rejoindre la petite salle de musique où ils pouvaient s’adonner librement à leur passion commune.
Au crépuscule de sa vie, elle regrettait le temps béni où elle se produisait sur scène, de concert en concert, de festival en festival : Paris, Milan, Barcelone, Londres, Budapest, Vienne, réminiscences d’un passé lointain où chacune de ses belles prestations se terminait par un tonnerre d’applaudissements. Elle aurait aimé poursuivre ses pérégrinations musicales à travers l’Europe si le sort n’en avait décidé autrement.
Obéir ou mourir. Le dilemme était cornélien. Toutefois, l’instinct de survie l’emporta sur sa dignité. Gagner du temps était devenu son seul espoir.