Vidéo de Jean-Pierre Schlunegger
Je dis: lumière, et je vois bouger de tremblantes verdures.
Je dis: lac, et les vagues dansent à l'unisson.
Je dis: feuille, et je sens tes lèvres sur ma bouche.
Je dis: flamme, et tu viens, ardente comme un buisson.
Je dis: rose, et je vois la nuit qui s'ouvre à l'aube.
Je dis: terre, un sommeil aveugle, un chant profond.
Je dis: amour, comme on dit tendre giroflée.
Je dis: femme, et déjà c'est l'écho de ton nom.
Nous avançons vers les lointains inexorables
Où l'ange de la mort s'allonge sur le sable.
Je dis : lumière, et je vois bouger de tremblantes verdures.
Je dis : lac, et les vagues dansent à l’unisson.
Je dis : feuille, et je sens tes lèvres sur ma bouche.
Je dis : flamme, et tu viens, ardente comme un buisson.
Je dis : rose, et je vois la nuit qui s’ouvre à l’aube.
Je dis : terre, un sommeil aveugle, un chant profond.
Je dis : amour, comme on dit tendre giroflée.
Je dis : femme, et déjà c’est l’écho de ton nom.
Toujours ce malheureux divorce avec la vie
Certains matins de pluie quand il fait encor gris
La neige n’est plus rien qu’une amère bouillie
Et les gens sont encore à moitié endormis.
Il y a ce ciel doux d’une douceur malsaine
(Les lumières plus pâles des fermes de là-haut).
Je pense à ces chiens noirs qui dorment sur leur chaîne
Pendant que tous ces gens se rendent au bureau.
Il y a la petite au manteau d’émeraude
Pâle comme une enfant que tourmente l’amour
Jeunes filles dont le regard part en maraude
Tout ce troupeau docile errant au petit jour.
On dirait de fuyants reflets sur ces visages
Comme sur une eau calme un frisson imprévu
Qui viendrait de si loin de profondeurs si nues
Qu’on détourne les yeux pour reprendre courage.
Postface
J’écrivais tout ceci dans une sorte de fièvre ; tantôt allègre,
tantôt grinçante, vivant le reste de mes journées comme un
minéral ou une plante, ramassant pour mon poêle des cônes
de mélèze ou de sapin.
Le ciel , selon les humeurs du vent, s’ouvrait en corolle bleu
ou se fermait comme un regard qui s’éteint. Le ciel : ballons noirs,
poings de fer.
La durée n’était plus cet insecte dévoreur de secondes qui me
grignotait patiemment dans les ténèbres de la ville, mais comme une
dimension nouvelle de l’espace : je respirais, je tournais de l’aube
au soir avec les mouvements de la lumière.
Il arrive même au bout d’un certain temps, que cette existence,
purement végétative (pas de livres, pas de musique) fît naître en moi
un rythme si miraculeusement accordé aux mouvements des branches,
à la dérive des nuages, que le simple fait de devoir descendre au
prochain village pour l’approvisionnement troublait mon équilibre
contemplatif : entrer dans une boutique, demander les prix…
La rose au fond des mers
Le vide, la parole sans mémoire
Devant l’espace blanc qui s’évapore
Quand les sursauts du cœur, l’élan des côtes
Irritent la parole où meurt le souffle...
Automne, le sommeil brille de rêves
Amers, lointains comme les astres de mercure.
Le sang qui veille aux paumes somnambules
A beau quêter l’espace de la joie,
Quand le soleil se couche au ras des arbres,
Lorsque l’espace n’enfle plus sa voix
De verre éolien, de courbe heureuse,
Le rire dérisoire dit nos larmes
Et l’herbe se replie aux franges des marais
La rose danse comme un parfum au bord des lèvres,
La rose danse et coule à pic au fond des mers.
Postface Extrait 2
J’écrivais tout ceci dans une sorte de fièvre …
Cependant que j’éprouvais en même temps un extrême besoin
de communiquer. Parler à quelqu’un, dire n’importe quoi. Une sorte
de liberté m’était venue, une merveilleuse gratuité de parole m’était
souverainement accordée.
Miracle, mais pour combien de temps ? Mélèzes, aiguilles de pin,
fougères, est-ce une fuite hors du temps ou une résurrection ?
J’avais aboli toutes les hantises de la ville, mais pour en trouver
d’autres au plus secrets de moi-même : forêt sombre, lentement
explorée, mais dans une angoisse de l’esprit et du corps qui, bien que
réelle, échappait aux petitesses du quotidien : respiration à la mesure de
l’espace, des arbres, du vent, de tout.
J’y ai retrouvé une sorte de lumière et, même, nourri d’absence, par
un singulier retour : une sorte de fraternité. À force de m’exalter
intérieurement les visages ? Illusion peut-être ? Le temps, seul me le
dira.
L’ordre des forces, lentement, s’était inversé : à l’attirance vers le
haut, verts les crêtes illuminées, a succédé, pendant les quinze derniers
jours, une envie de redescendre à laquelle j’eusse difficilement résisté.
Revoir la ville, des cafés, des lumières dans des regards heureux.
Et je suis revenu, comme pour une fête. Les prés verdissaient, plus une
tâche de neige. Tandis que la chambre du musicien s‘installait doucement
dans les mirages de la mémoire, je suis redescendu vers le printemps.
Feu de grève
Je l’ai trouvé sur la grève
Mordu par le vent de la nuit
Sifflant de sèves
Troué de pluie
Il brûlait là comme une pauvre étoile
Rousse et malsaine
Nourrie de joncs
Parmi les pierres
Je l’ai trouvé près des vagues
Empoisonné par leur noire lumière
Je l’ai trouvé solitaire
Triste et rêvant
Étoile sans cause
Musique perdue
Son haleine abattait les papillons de nuit
Décembre
La nuit gouverne les branchages de mon cœur
Je vous parle à travers la brume et la distance,
Terre immobile où rien n'est vrai
Que ce murmure d'eau qui chante.
Plus vieux mais non vieilli,
J'ai le regard de l'enfant solitaire
Qui reflète longtemps les étangs et les arbres.
Il dure à l'épreuve, le cœur,
Malgré la nuit si longue.
Mon chant profond n'est que la pluie aux tresses pâles,
Mon chant n'est qu'un murmure sans paroles,
Et l'on dirait parfois la phrase interminable
Du vent qui se disperse à travers la campagne.
MONDE OBSCUR.
À Lucienne.
Tranquille, ce soir, parmi les rues
De ma ville, parmi les fumées, les toits,
La foule, comme un fleuve endormi,
S'écoule avec ses milliers de visages,
Sans un sourire,
Sans un cri,
C'est toi, c'est moi,
Il n'y a pas de trêve,
Ce soir on va réarmer l'ennemi,
Nous roulons tous vers quelques mauvais rêve,
Embrassons-nous avant d'être maudits,
Dis-moi ton nom, montre-moi ton visage,
Peut-être un jour sera-t-il interdit,
Pour toi, pour moi
Il n'y aura plus d'image,
Ils feront tout
Pour jeter la nuit
La terre avec ses tendres paysages,
Ce qui fait notre amour
Et notre paradis.
De la douceur d'être mari et femme,
De savoir lire une ombre dans les yeux.
Nous serons séparés par un si long voyage
Que même la mémoire entrera dans le jeu
Dis-moi ton nom, montre-moi ton visage,
Et souviens-toi longtemps des jours heureux.