Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber ;
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C’est sous Louis treize… et je crois voir s’étendre
Un coteau vert que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs.
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens…
Que, dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue ! — et dont je me souviens !
C'est l'extase langoureuse,
C'est la fatigue amoureuse,
C'est tous les frissons des bois
Parmi l'étreinte des brises,
C'est, vers les ramures grises,
Le choeur des petites voix.
Ô le frêle et frais murmure !
Cela gazouille et susurre,
Cela ressemble au cri doux
Que l'herbe agitée expire...
Tu dirais, sous l'eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.
Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante,
C'est la nôtre, n'est-ce pas ?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s'exhale l'humble antienne
Par ce tiède soir, tout bas ?
Romances sans paroles
p.9: "Les témoignages dont nous disposons concernant Nerval sont flous et en apparence contradictoires car ils concernent des périodes différentes de sa vie."
Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Never More
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'Automne
Faisait voler la grive à travers l'air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.
Nous étions seule à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :
"Quel fut ton plus beau jour !" fit sa voix d'or vivant
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique,
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.
- Ah, les premières fleurs qu'elles sont parfumées
Et qu'il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !
Mélancholia - Poèmes Saturniens
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[...] je ne pense pas qu'il y ait d'une part la poésie et de l'autre l'ésotérisme, mais bien une certaine perception analogique et anagogique de l'univers et de ses secrets [...]