Jean Vallier - C'était
Marguerite Duras, 1914-1996 .
Jean Vallier vous présente son ouvrage "C'était
Marguerite Duras, 1914-1996" aux éditions le Livre de poche. http://www.mollat.com/livres/vallier-jean-etait-marguerite-duras-1914-1945-pochotheque-9782253088639.html Notes de Musique : Compilations/
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"Elle (la mère) a toujours ignoré une partie de ma vie. Par exemple, elle n'a jamais su qu'à vingt ans, en France, on m'a fait avorter : c'était un type très riche, je n'étais pas majeure, les parents de voulaient pas avoir d'histoires, on a fait de faux certificats, on a mis appendicite."
Mais le souvenir de ce traumatisme la poursuivra longtemps. Dans un article à propos d'un livre sur l'avortement paru aux éditions de Minuit la même année que le texte mentionné ci-dessus, Marguerite Duars écrira : "On croit se débarrasser d'un foetus, alors qu'on est déjà porteuse d'un enfant. Et avorter, c'est tuer l'enfant. Là encore, le mensonge règne, l'hypocrisie, le désespoir des femmes."
"L'enfant était sorti. Nous n'étions plus ensemble. Il était mort d'une mort séparée. (...) mort à part, mort à une vie que nous avions vécue neuf mois ensemble et qu'il venait de quitter séparément. Mon ventre était retombé lourdement sur lui-même, un chiffon usé, une loque, un drap mortuaire, une dalle, une porte, un néant que ce ventre. Il avait porté cet enfant pourtant, et c'était une chaleur glaireuse et veloutée de sa chair que ce fruit marin avait poussé. Le jour l'avait tué. Il avait été frappé de mort par sa solitude dans l'espace."
Ces lignes, écrites plus de trente ans après, reflètent bien, dans leur concision même, la marque profonde qu'a laissé en elle la perte de son premier enfant. Il n'y a pas de doute que ce deuil impossible à faire, a dû provoquer un grave traumatisme psychique, et qu'il a pu correspondre à un moment de profond découragement.
Le souvenir est clair. Je suis quelque chose comme déshonorée d'avoir été touchée. J'ai quatre ans. Il a onze ans et demi. Il n'est pas encore pubère. Sa verge est molle encore, douce. (...) Je la prends dans ma main. (...) Je n'ai jamais oublié la forme dans ma main, la tiédeur. Et le visage de l'enfant, les yeux fermés, hissé vers la jouissance encore inaccessible, martyr, qui attend.
De l'aveu même de l'écrivain, la scène a été en partie transposée dans L'amant. (...)
Longtemps j'y ai pensé comme à une chose terrible. (...)
La scène s'est déplacée d'elle-même. En fait, elle a grandi avec moi, elle ne m'a jamais quittée.
(Sur la mort du "petit frère")
"Le petit frère. Mort. D'abord, c'est inintelligible et puis, brusquement, de partout, du fond du monde, la douleur arrive, elle m'a recouverte, elle m'a emportée, je ne reconnaissais rien, je n'ai plus existé sauf la douleur, laquelle, je ne savais pas laquelle, si c'était celle d'avoir perdu un enfant quelques mois plus tôt qui revenait ou si c'était une nouvelle douleur. Maintenant, je crois que c'était une nouvelle douleur, mon enfant mort à la naissance, je ne l'avais jamais connu et je n'ai jamais voulu me tuer comme là je le voulais."
"Ce que j'ai écrit, ma mère ne l'a pas aimé, pas du tout, écrira Marguerite longtemps après sa mort. (...) Depuis le début, elle n'a rien compris à mes livres. C'était une sorte d'analphabète de la littérature."
Marguerite Duras (...) sera à tout jamais épouvantée à la Libération, marquée à vif, par la découverte des chambres à gaz et la prise de conscience collective de l'innommable horreur qui avait frappé tout un peuple. La douleur, ressentie au plus profond d'elle-même, ne la quittera jamais. Jusqu'à la fin de sa vie, elle se voudra "juive", pour qu'on n'oublie jamais.
L'Asie des moussons tout entière est son pays natal, son domaine inaliénable, son territoire d'écriture.
Du plus loin que je me souvienne, j'ai su que ma mère manquait d'argent. Son seul soucis était d'en gagner, bien que son humeur aventureuse lui ait fait prendre bien souvent des moyens très détournés pour y arriver. Peu importe, ma mère nous avait inculqué un sentiment quasi-sacré de l'argent. Sans lui, on était malheureux. Sans lui, la vertu ne "passait" pas et l'innocence était condamnable. Ma mère était persuadée que si elle réussissait à gagner de l'argent, il s'ensuivrait une sereine conséquences heureuses.
(...)
Impression de parcimonie maniaque, proche de l'avarice. Atavisme de paysanne du Nord ou peur légitime de "manquer" ? Sans doute un peu des deux. Aurait-elle laissé ceci en héritage à sa fille ?
La mère de Marguerite Duras, qui ne fait pas partie - et sa fille le regrette amèrement - du "corps des hauts fonctionnaires Indochinois", a en fait, "toujours été portée à désirer entrer coûte que coûte et par tous les moyens" dans cette société à laquelle "nous n'avions jamais accès". Aveu révélateur, qui concorde avec les témoignages que j'ai pu recueillir auprès de personnes qui avaient connu Marie Donnadieu quelques années plus tard(...).
J'ai eu cette chance d'avoir une mère désespérée d'un désespoir si pur que même le bonheur de la vie, si vif soit-il, quelquefois, n'arrivait pas à l'en distraire tout à fait.