Après la rue principale du village, on descend une petite rue au long de laquelle des maisons plus modestes se blottissent les unes contre les autres, telle une collection de boîtes d'allumettes disposées là. Elles ont préféré, plutôt que l'agrément d'un jardin et le luxe d'une palissade, se coller les unes aux autres comme des renardeaux dans leur tanière.
Le passé resurgit avec la petite rivière. Le saumon se souvient maintenant de chaque détail. Il se souvient des couleurs et du parfum de l’eau. Que de fois il a arpenté ces lieux alors qu’il n’était encore qu’un tout petit poisson perdu dans la multitude. Son enfance lui revient, souvenir d’une époque pendant laquelle il était si affamé qu’il sautait hors de l’eau pour happer une mouche ou gober une libellule. Il fouillait aussi sous les cailloux bigarrés du torrent à la recherche des vers. Comme ils étaient nombreux à scruter ainsi le fond, on entendait loin dans l’eau les sourds chocs des cailloux retournés qui roulaient dans le courant.
Frappé de stupeur, le convoi stoppe net. Car au loin, directement dans l’axe de la route, s’élève devant lui un mur minéral d’une hauteur inconcevable. La route s’avance en serpentant vers ce rempart infranchissable et, comme par enchantement, disparaît en son milieu, comme si elle était engloutie. Page 97