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Citation de SZRAMOWO


— Qu’est-ce donc au juste que Nicole ?
— Mon cher, vous voulez rire !… Comment ! Vous êtes chez elle, et vous demandez qui elle est ?
— Je viens ici pour la première fois… Vous m’avez fait dîner avec des rastas, des viveurs et des hommes d’esprit. J’ai goûté la saveur des vins vieux et celle des jeunes femmes ; mes voisines étalaient généreusement les charmes de leurs corsages décolletés, comme on offre les fruits d’un compotier… Bref, je pourrais me croire dans l’hôtel particulier d’une délicieuse aventurière…
— Ne vous avais-je pas dit que je vous menais souper chez la maîtresse de Paul Bernard, le richissime industriel ?
— Oui, oui… Mais, tout à l’heure, Nicole s’est approchée de moi ; nous avons causé : ses propos n’ont rien de la vulgarité de ton du demi-monde, encore moins de la futilité du monde… Ils dénotent une originalité de vues, une culture déconcertante… Et j’en suis resté tout perplexe.
— Une conversation a suffi pour vous désorienter ? Vous êtes amoureux, mon petit Julien !
— Non, c’est autre chose : j’éprouve la même impression que si j’avais bu du vouvray en le prenant pour du vin de Bordeaux… Il me semble que cette charmante courtisane ne répond pas à son étiquette. Comprenez-vous, Fréminet ? Voilà pourquoi je vous demande : qui est Nicole ?
— Une fille pas bête, une femme exquise, lancée depuis quelques années dans la vie parisienne, et sachant y marquer sa place à part. Jolie, féline, séduisante, elle a une réputation d’esprit qui n’est pas surfaite ; et les lettrés spirituels qui peuplent sa salle à manger ne sont point tenus de lui fabriquer ses mots, afin de payer leur écot. Bernard l’installa, voici cinq ans, dans ce petit hôtel des Champs-Élysées. Au début, quelques Parisiens crurent la reconnaître pour la fille d’un vaudevilliste qui eut son heure de succès : Georges Fripette ; puis, le fameux romancier Jean Claudières se targua d’avoir été son… initiateur. Mais, il y a beau temps que ces potins sont oubliés ! Claudières est mort, et Fripette a disparu, terrant sans doute ses premiers cheveux blancs au fond d’une lointaine province. Que nous importe, d’ailleurs ? Aujourd’hui, Nicole nous apparaît comme une femme charmante chez qui la cuisine est excellente. Ici, on s’amuse beaucoup mieux qu’au restaurant, et ça ne coûte rien : Paul Bernard est le seul commanditaire de la maison.
— Comment se fait-il qu’elle soit plus intelligente, qu’on la sente de plus haute race que la plupart de ses pareilles ?
— Est-ce la seule déclassée qui produise cet effet ? À notre époque — où les femmes refusent de vieillir — une jeune fille qui ne s’est pas mariée ne devient plus une vieille fille : bien souvent, elle reste fille tout court. Supposez une enfant trop libre, élevée au hasard, instruite à sa guise, par un père inconscient et prime-sautier, représentez-vous le milieu d’artistes où elle a poussé, ajoutez à cela la déception d’une première aventure ratée, et vous avez la clé de cette jolie énigme qu’est notre Nicole déroutante, ensorcelante et lettrée… Je suis un peu documenté : j’ai connu son père. Et puis, je fréquente assidûment ses salons. J’adore ce mélange de tous les mondes qui s’appelle le demi-monde. J’entre ici comme dans un magasin de nouveautés, pour avoir la surprise des rencontres, le spectacle d’une exhibition imprévue…
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