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Citation de Charybde2


Impossible de le dire autrement : Wick, mon associé et amant, était un dealer, et la drogue qu’il vendait était aussi effroyable, superbe, triste et douce que la vie elle-même. Les scarabées que Wick modifiait, ou fabriquait avec des matériaux volés à la Compagnie, ne se contentaient pas de vous instruire quand vous vous les mettiez dans l’oreille : ils pouvaient aussi vous débarrasser de souvenirs, ou vous en ajouter. Les gens incapables de supporter le présent se les fourraient dans les oreilles pour revivre les souvenirs heureux que quelqu’un d’autre avait conservés d’un temps révolu et de lieux qui n’existaient plus.
La drogue est la première chose que Wick m’a offerte quand on s’est rencontrés, et la première que j’ai refusée, flairant un piège même si cela ressemblait à une évasion. Dans l’explosion de menthe ou de citron vert provoquée par l’insertion du scarabée dans le conduit auditif se formaient de merveilleuses visions d’endroits que j’espérais imaginaires. Ce serait trop cruel, de penser que ce sanctuaire puisse vraiment exister. Y penser pouvait rendre idiot, négligent.
Si je suis restée parler à Wick, c’est uniquement parce que j’ai vu qu’il était blessé que son offre me révulse. J’aurais aimé avoir su l’origine de sa gêne à ce moment-là, au lieu de l’apprendre si longtemps après.
J’ai posé l’anémone de mer sur une table branlante entre nos sièges. Nous étions installés sur un des balcons délabrés accrochés à une falaise rocheuse qui m’avaient poussée à baptiser notre refuge les Falaises à Balcons. Le nom d’origine, sur la pancarte rouillée à l’intérieur du hall souterrain, était illisible.
Nous avions derrière nous le dédale dans lequel nous vivions, et devant nous, en contrebas et voilés par un écheveau protecteur fabriqué par Wick pour nous masquer aux yeux indésirables, les méandres de la rivière toxique qui bordait la majeure partie de la ville. Y mijotaient métaux lourds, huiles et déchets, générateurs d’une brume nocive qui nous rappelait que nous mourrions probablement d’un cancer, au mieux. Derrière la rivière, une lande de broussailles. Sans rien de bon ni de sain, même si, en de rares occasions, des gens continuaient à apparaître sur cet horizon.
J’étais sortie de cet horizon.
« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? » ai-je demandé à Wick tandis qu’il examinait longuement ce que j’avais apporté. La chose pulsait, aussi inoffensive et fonctionnelle qu’une lampe. Pourtant, une des horreurs infligées autrefois à la ville par la Compagnie avait été de tester sa biotech dans les rues. Transformée en immense laboratoire, la ville, tout comme la Compagnie, était désormais à moitié détruite.
Wick a eu ce sourire mince d’homme mince qui ressemblait davantage à une grimace. Un bras sur la table, jambe gauche croisée sur la droite, vêtu d’un pantalon large en lin trouvé la semaine précédente et d’une chemise blanche presque jaunie par un long usage, il semblait à peu près détendu. Mais je savais que c’était une façade, tant au profit de la ville qu’au mien. Des coupures dans le pantalon. Des trous dans la chemise. Les détails qu’on essayait d’ignorer et qui racontaient une histoire plus véridique.
« Qu’est-ce que ce n’est pas ? Voilà la première question, a-t-il répondu.
– Qu’est-ce que ce n’est pas, alors ? »
Il a haussé les épaules, peu disposé à s’avancer. Un mur s’élevait parfois entre nous quand nous discutions de trouvailles, une circonspection que je ne trouvais guère à mon goût.
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